Rencontre : Des étudiantes de l'INSA au chevet de la grotte de Lascaux
Publié par Echosciences Occitanie, le 2 septembre 2016 2.7k
Huit étudiantes de Toulouse ont tenté de porter secours à la célèbre grotte de Lascaux, et ce grâce à la création d'une bactérie génétiquement modifiée qui pourrait mettre fin au champignon destructeur des peintures rupestres.
Echosciences-Sud s'est intéressé au projet Paleotilis, de sa genèse à la participation au concours international IGEM (pour International Genetically Engineered Machine) à Boston.
Rencontre avec les protagonistes de ce projet innovant !
Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ? Comment a été constituée l’équipe
projet ? Un hasard que l’équipe soit
100% féminine ?
Le concours de biologie synthétique iGEM a été crée en 2004 et compte aujourd’hui plus de 300 équipes dans le monde. A Toulouse, c’est la 4 ème année consécutive qu’une équipe est créée. Cette année, 4 étudiantes de l’INSA de Toulouse en Génie Biochimique et 4 étudiantes de l’université Paul Sabatier en master Microbiologie Agro-biosciences et Biologie des Systèmes participeront au concours. L’équipe est constituée par les professeurs encadrants sur dossier et sur entretien, c’est donc un hasard que l’équipe soit 100% féminine.
Pouvez-vous expliquer le procédé technique que vous allez créer pour préserver la grotte ?
Nous allons utiliser un système biologique capable de prédation, de production d’antifongiques et limiter dans la propagation de son matériel génétique. Notre projet se nomme Paleotilis. En effet, la grotte abrite des champignons noirs et blancs qui poussent sur un tapis bactérien lui même poussant sur les fresques. Notre objectif est donc de limiter leur prolifération. Ainsi, nous allons modifier une bactérie (souche Bacillus subtilis) afin qu’elle puisse pousser en se servant du tapis bactérien comme source de nutriments. Par ailleurs, notre bactérie sera capable de détecter la présence de champignons grâce à un système de détection sensible à une molécule qui leur est caractéristique. Aussi, quand des champignons seront détectés, notre souche Bacillus subtilis libérera des anti-fongiques.
D’un point de vue génétique, des précautions ont été prises afin d’éviter le transfert latéral du matériel génétique (transmission d’ADN d’une bactérie à une autre). En effet, notre bactérie ne sera pas capable de survivre si elle perd une partie de ses informations génétiques (ADN).
Un point crucial de notre projet, et qui nous tient beaucoup à cœur, est de préserver l’écosystème de la grotte. Aussi notre système biologique sera confiné dans un dispositif clos, qui permettra d’éviter la dissémination de la bactérie dans l’environnement. Ce dispositif permettra d’appliquer de manière locale le « traitement » dispensé par notre bactérie.
Concrètement comment avez-vous trouver cette procédure ? Dans quels autres terrains d’application ce procédé pourrait-il être réutiliser ?
L’idée de travailler sur la conservation des grottes de Lascaux n’était pas notre idée d’origine. Nous nous étions tout d’abord intéressées aux contaminations fongiques sur les tableaux, qui posent beaucoup de problèmes aux conservateurs des musées. Cependant, du fait des caractéristiques très variées des tableaux (composition, époque...), il était trop compliqué pour nous de mettre en place une solution biologique dans le laps de temps dont nous disposions (3 mois, dans le cadre du concours iGEM).
Souhaitant rester dans le domaine de l’art, il nous a paru évident de nous tourner vers la célèbre grotte de Lascaux, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO et sûrement un des plus bels héritages français. Aussi, nous nous sommes renseignées sur son état en contactant des scientifiques et en recherchant des informations dans la bibliographie. Suite à cela, nous avons réfléchi à la meilleure solution pour régler le problème. La grotte peut être assimilée à un organisme vivant puisqu’elle possède un écosystème qui lui est propre et qui varie selon les conditions et les variations du milieu extérieur. Nous nous sommes donc donné pour mission de montrer qu’une solution biologique peut permettre de résoudre un problème biologique en ciblant spécifiquement les causes du problème.
Les contaminations par des champignons et des bactéries sont des choses courantes. Par exemple des pièces où se sont développés ce genre de micro-organismes à cause d’un excès d’humidité pourraient éventuellement être traitées par notre dispositif. Il aurait bien évidemment besoin d’être légèrement adapté à la situation, mais il pourrait y être fonctionnel.
Pourquoi la grotte de Lascaux comme terrain d’exploration ? Est-ce un terrain unique en son genre ? Quelles sont ses particularités ?
La grotte de Lascaux est un héritage historique mondial vieux de plusieurs milliers d’années qui s’est retrouvé perturbé par une activité touristique intense. Il nous tenait à cœur de mettre la science au service du patrimoine mondial, c’est pour cette raison que nous l’avons choisie. De plus, contrairement à d’autres œuvres d’art, celle-ci à la particularité d’avoir un système vivant propre. C’est une œuvre qui vie et qui évolue avec le temps. Les champignons colorés, ainsi que le tapis bactérien sur lequel ils se développent, ne sont qu’une infime partie de l’ensemble des espèces microbiennes de cet écosystème dont la plupart sont bénéfiques pour la grotte. Ne pas détruire les espèces indispensables à la grotte est le vrai intérêt de notre projet. D’autre part, la question de l’utilisation d’une bactérie génétiquement modifiée doit s’accompagnée d’une réflexion éthique. De même, nous portons une attention particulière au confinement de notre bactérie par des moyens biologiques et physiques. La préservation de l’écosystème bénéfique à la grotte de Lascaux est donc un véritable challenge pour nous et nous souhaitons démontrer qu’une solution biologique dans ces conditions est envisageable.
Qu’est ce que la participation au concours iGEM de Boston représente pour le projet ? Pour vos écoles?
La participation au concours iGEM, qui est organisé par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) de Boston, est tout d’abord une opportunité pour nous. En effet, il s’agit là d’une expérience très formatrice et enrichissante, qui nous permet de développer nos compétences scientifiques et notre sens critique. Nous n’avons en effet pas « tous les droits », et l’éthique est un aspect important de notre projet.
Les résultats du projet que nous soutenons seront publics, mais ils resteront à l’état de concept. Notre système biologique ne sera donc pas appliqué à la grotte en l’état, mais nous espérons bien que la preuve de concept soit reprise et aboutisse à une solution concrète et ainsi apporte aux équipes scientifiques qui travaillent sur l’écosystème de Lascaux de nouvelles pistes de recherche.
Le fait que des étudiants de l’INSA Toulouse et de l’Université Paul Sabatier participent à ce concours est gratifiant. Cela donne de la visibilité à nos écoles, et démontre que leurs étudiants foisonnent d’initiatives et d’idées.
Qu’est ce que cela vous fait de contribuer à la préservation d’un lieu si exceptionnel ?
La grotte de Lascaux est un lieu unique qu’il nous paraît important de conserver. Nous sommes donc très enthousiastes à l'idée de de développer notre projet pour préserver cette grotte ! Cependant, nous sommes conscientes qu’il s’agit d’un espace protégé, et que son accès est très contrôlé. Dans le temps imparti du concours, nous ne pouvons que démontrer que notre concept fonctionne en laboratoire, il s’agit donc d’une preuve de concept. Nous avons conscience que notre idée ne pourra pas être testé dans les conditions réelles de la grotte car il restera de nombreuses étapes avant d’en arriver là. C’est un projet qui nécessiterait 10 ans pour être mené à bien sans risquer de perturber l’écosystème de la grotte. Nous trouvons cependant cela très gratifiant de pouvoir commencer les bases d’une telle solution. Nous espérons également que notre concept, libre de droit, intéressera un laboratoire ou une entreprise par la suite pour le développer et peut être l’amener à terme.
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