Quand les enfants prennent le pouvoir

Publié par Université de Montpellier UM, le 1 décembre 2016   4.1k

Parmi toutes les formes que peut revêtir la violence familiale, il en est une qui reste encore taboue, mal connue des spécialistes eux-mêmes : les enfants qui tyrannisent leurs parents. A Montpellier, les médecins leurs viennent en aide.

Ils sont malmenés, terrorisés, et même violentés par… leurs enfants. Un cauchemar pour ces parents qui ne savent plus comment reprendre le dessus sur leur progéniture. Pour les aider à sortir de cette spirale infernale, le CHU de Montpellier a mis en place des consultations inédites pour la prise en charge des enfants tyranniques. Non pas de simples garnements turbulents, mais des enfants qui ont littéralement pris le pouvoir à la maison. « On parle d’enfant tyrannique lorsque la hiérarchie familiale n’est plus respectée. C’est à dire lorsque les parents n’ont plus la possibilité dans le foyer de décider ou de poser les règles éducatives qu’ils souhaitent », explique Nathalie Franc. Au point que ces parents ont l’impression de « vivre chez leur enfant »…

Des situations dont on parle peu, et qui peuvent se révéler d’une grande violence. « Il y a beaucoup d’agressivité, verbale ou même physique, contre les parents. Ces enfants peuvent faire des crises de colère au cours desquelles ils frappent ou cassent des objets, de préférence ceux auxquels les parents sont attachés. Les plus grands vont jusqu’à menacer de fuguer ou de se suicider », précise la pédopsychiatre. Tous les parents suivis au service de médecine psychologique enfants et adolescents font le même constat : ils ont peur de leur enfant.

« On vit chez nos enfants »

Mais comment ces familles en sont-elles arrivées là ? « Il y a toujours au départ un problème pédopsychiatrique chez l’enfant : trouble anxieux, hyperactivité, autisme, trouble obsessionnel compulsif », explique Nathalie Franc. Les études montrent par ailleurs que le risque augmente quand l’enfant focalise particulièrement l’investissement affectif des parents : enfant aîné, tardif, unique ou adopté ou enfant ayant été malade quand il était petit. Les parents sont quant à eux souvent particulièrement sensibilisés aux besoins de l’enfant et attentifs à l’éducation. « Ceux que nous suivons dans le groupe sont psychologues, éducateurs ou enseignants, ils veulent juste bien faire ». Trop bien faire parfois.

Alors pour aider leurs enfants à faire face à leurs difficultés, les parents s’adaptent, voire se « suradaptent ». Certains cessent de travailler pour ne pas laisser seul un enfant anxieux, d’autres se laissent embrigader dans les manies de leurs enfants souffrant de TOC. « Une des mamans du groupe doit tous les soirs border la couverture d’une façon très particulière puis dire une phrase précise, si elle fait un faux pas dans le rituel de son enfant il fait une crise de colère et l’oblige à recommencer », témoigne la pédopsychiatre.

Des parents au bout du rouleau

Pour les spécialistes, cette suradaptation des parents pourrait bien être à l’origine de l’installation de la tyrannie. « Ce comportement donne à l’enfant l’impression qu’il a le pouvoir de décider, explique Nathalie Franc. Il entretient aussi le problème à long terme car en évitant à l’enfant d’être confronté à ses troubles, on ne l’encourage pas à trouver des solutions tout seul ». Petit à petit, la tyrannie s’installe, insidieusement. « D’autant plus insidieusement que l’enfant ne présente aucun trouble du comportement en dehors de la maison ». Des angelots à l’école ou en société qui se révèlent de petits démons dans l’intimité du cercle familial…

« C’est là une des difficultés majeures : comme ces enfants se comportent tout à fait normalement en dehors de la maison, ça retarde le repérage et la prise en charge », témoigne Nathalie Franc. Résultat : des parents qui arrivent en consultation déprimés et s’estiment « au bout du rouleau ». « Ils ont parfois laissé de côté leurs vies professionnelle, personnelle, sociale, ils s’isolent et témoignent d’un grand sentiment de culpabilité et de honte ». Une honte qui les pousse à cacher à leur entourage la gravité de la situation, avouant à demi-mot un enfant « difficile » mais sans oser décrire la réalité de leur quotidien.

Sortir du secret

« La première chose que l’on conseille aux parents, c’est justement de sortir du secret, d’en parler à leurs proches qui constitueront un véritable réseau de soutien », explique la pédopsychiatre. Un soutien pour les parents mais aussi un levier pour modifier le comportement de l’enfant : « s’il sait que l’entourage est au courant de la situation, il devient sensible à ce regard extérieur et il perd du pouvoir ».

Dans le kit de survie à l’intention des parents d’enfants tyranniques, les médecins insistent également sur la nécessité d’apprendre à désamorcer les crises. « La plupart du temps les parents oscillent entre l’opposition totale et la surexplication qui ne fonctionnent ni l’une ni l’autre, nous les encourageons à trouver une troisième voie pour résoudre les conflits. » Pour les aider, les spécialistes prônent la résistance non violente, une approche comportementale qui s’inspire de celle de Ghandi. « Nous leur conseillons par exemple de réagir en différé pour donner davantage de force à leur réponse ».

Et ça marche ? « On manque encore de recul pour évaluer cette approche dans la durée, explique Nathalie Franc. Mais ce qui est sûr c’est que les parents qui participent à ces séances vont déjà mieux ». D’abord parce qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ces situations, ce qui les allège un peu du poids de la honte et de la culpabilité. Ensuite parce qu’ils reprennent confiance dans leurs compétences parentales. Un ingrédient indispensable pour modifier la dynamique à la maison et pour que petit à petit, chacun retrouve sa juste place.


Retrouvez cet article dans LUM, le magazine science et société de l'Université de Montpellier.

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