J'ai testé...participer à un protocole scientifique sur de jeunes chevreuils
Publié par Morgane Bouterre, le 10 février 2017 2.7k
L’INRA- Institut National de la Recherche Agronomique - dispose d’un grand nombre de plateformes d’expérimentation pour mener à bien ses recherches scientifiques sur l’agroécologie. L’une d’elles basée à Gardouch (31) est en charge de l’étude comportementale des chevreuils.
Cette installation expérimentale est rattachée à l’unité de recherche Comportement et Ecologie de la Faune Sauvage de l’INRA et a pour principal objectif de faciliter l’acquisition de données et d'expérimenter sur le système chevreuil-environnement.
Un protocole d'évaluation du comportement
C’est dans le cadre d’un protocole d’étude de la
personnalité de l’animal mené au mois de décembre dernier que l’unité a mis en
place un appel à contribution de personnes volontaires pour noter le
comportement de 7 jeunes chevrettes apprivoisées.
En menant ce type d’étude, la plateforme souhaite comprendre les interactions possibles entre le chevreuil et son écosystème. Curieuse, je décide de me porter volontaire pour réaliser l’enquête. Prise de contact faite, c’est donc par une matinée plus qu’hivernale que je décide de me rendre sur l’installation.
Un site d'observation et d'expérimentation unique
Le site est actuellement le seul lieu d’élevage en
Europe qui permet de mener des expériences sur le système
«chevreuil-environnement». L’installation offre un cadre privilégié pour
observer ces animaux. Trois techniciens assurent le bon fonctionnement
quotidien et la mise en place des programmes scientifiques en lien avec les
chercheurs. L’installation dispose d’un agrément pour l’expérimentation animale
et d’un personnel formé et habilité. Les protocoles mis en oeuvre sont soumis à
un comité d’éthique.
Le dispositif de Gardouch permet donc de répondre à deux grands objectifs scientifiques:
• comprendre les mécanismes explicatifs du fonctionnement des populations (plasticité comportementale, organisation sociospatiale, reproduction...),
• analyser le rôle du chevreuil dans les écosystèmes.
À peine arrivée, je découvre au loin les premiers petits cervidés dans leur grand enclos en prairie.
Les deux chercheurs en charge de la plateforme m’accueillent et m’expliquent rapidement mon rôle en tant qu’observatrice.
L’étude consiste à remplir une fiche d’évaluation basée sur 7 critères comportementaux. ( Actif, audacieux, curieux, nerveux, gourmand, indépendant, familier). Le but étant de s’immerger dans l’environnement des chevrettes, d’interagir avec elles en leur donnant à manger et en les laissant s’approcher de nous également.
Début de l'observation...premières surprises, premières constatations
Après avoir enfilé des bottes en caoutchouc et rempli mes poches de glands, je pénètre dans l’enclos des 7 jeunes chevrettes. À ma plus grande surprise, c’est un animal plutôt apprivoisé que je rencontre. Les deux chercheurs m’expliquent alors que les chevreuils sont rapidement séparés de leur mère pour se familiariser à l’odeur humaine. Les deux chercheurs se substituent donc à chaque naissance aux mères biologiques des jeunes chevreuils.
Ce choix d’élevage permet de tester et de mettre au point des applications pour la gestion des chevreuils (méthodes indiciaires d’estimation de densité, méthodes de protection des plants forestiers...) mais aussi offre la possibilité d’étudier finement le comportement de l’animal imprégné. Grille d’évaluation en main, je commence à m’approcher. Instinctivement je me baisse pour me mettre à leur hauteur. Les premiers échanges commencent alors. Reniflage, caresses, inquiétude, fuite, gourmandise, les 7 individus n’adoptent pas la même attitude à mon égard. Il m’est également demandé d’observer le comportement des chevrettes entre elles pour notamment juger les degrés de dominance, de stress et de dépendance.
Identifiées par une couleur de boucle d’oreille, il est plus simple de les différencier. Je commence à noter chacune d’entre elles sur une échelle de 1 à 10 selon les 7 critères énoncés plus haut.
Certains critères sont assez évidents à juger comme ceux liés à la gourmandise et à la dépendance tandis que d’autres sont clairement plus subtiles à déterminer.
Aussi, certaines personnalités ressortent très distinctement chez les jeunes chevrettes alors que d’autres sont plus fines. L’échelle de notation de 1 à 10 me paraît aussi un peu trop étendue pour répondre le plus justement possible. L’éthologie reste une science subtile qui demande une attention particulière.
De belles rencontres
Fascinée par la passion que ces deux chercheurs ont pour cette espèce, je continue à poser des tonnes de questions sur la nature de cet animal et les expériences menées à Gardouch. Le chevreuil reste un animal farouche, difficile à élever et à manipuler : apprivoisés dès leur plus jeune âge, les animaux disposent d’enclos conçus pour minimiser leur stress. La personnalité de ce cervidé peut s’exprimer dans plusieurs dimensions comportementales : l’audace, l’agressivité, l’exploration, l’activité et la sociabilité. Les chevreuils sont soumis à différents tests comme la mise en présence d’un objet nouveau, une manipulation, une compétition alimentaire, un isolement... Les animaux les plus téméraires seraient plus capables de faire face à l’imprévisibilité des ressources, mais seraient aussi plus sujets aux risques de prédation que les plus timides.
31 personnes ont finalement participé au protocole de recherche, ce qui a permis de soulever des aspects des caractères des chevrettes. In fine, grâce à ces résultats, les chercheurs pourront affiner leurs expérimentations en fonction des différentes personnalités de chaque chevrette. Si vous souhaitez suivre les expérimentations réalisées à Gardouch, je vous invite à suivre les actualités mensuelles de ce blog.