Une assurance sociale contre la vie brève est-elle possible ?
Publié par Mondes Sociaux, le 9 mars 2023 500
Article par Grégory Ponthière
L’Etat-providence assure les citoyens contre les risques de santé (grâce à l’assurance maladie), de perte d’emploi (via l’assurance chômage) et de vieillesse (via les retraites). Mais il n’assure pas les citoyens contre le plus dramatique de tous les risques : le risque d’une vie brève. Mais comment dédommager avant son décès quelqu’un dont on ne sait pas s’il va décéder ? Cet article propose une solution radicale : octroyer, à tous les jeunes adultes sans distinction, une période de retraite de quelques années avant de rentrer dans la vie active, afin que toutes les personnes – y compris celles qui auront le malheur de décéder à de jeunes âges – puissent s’épanouir dans leur vie.
Mors certa, hora incerta. Comme Vladimir Jankélévitch l’a souligné dans La mort (1977), chaque être humain fait face à une incertitude majeure, qui concerne la durée de sa vie. Personne ne sait combien de temps il va vivre. Certaines personnes auront la chance de vivre longtemps, voire très longtemps, comme les centenaires, dont le nombre augmente régulièrement. Malheureusement, d’autres personnes n’auront pas cette chance, et décèderont beaucoup plus tôt, avant même d’avoir atteint la vieillesse. En France, 10 % des hommes et 4 % des femmes décèdent avant d’avoir atteint 60 ans.
Dans sa forme actuelle, l’Etat-Providence n’offre pas d’assurance sociale contre la vie brève. Il existe certes des mécanismes de pensions dits « de réversion », qui permettent d’éviter que le conjoint survivant ne tombe dans la pauvreté suite au décès du conjoint. Mais les pensions de réversion ont des niveaux trop faibles pour offrir une véritable compensation pour le décès. Surtout, elles bénéficient au conjoint du défunt – et pas au défunt lui-même. A ce titre, les pensions de réversion n’offrent qu’une forme (faible) de compensation indirecte. Les personnes isolées qui décèdent tôt ne profitent ainsi nullement de ce dispositif assurantiel. Il manque une assurance sociale contre la vie brève qui compenserait directement toutes les victimes d’une mort précoce, sans passer par l’intermédiaire des (hypothétiques) conjoints.
Des injustices doublement invisibles
Au vu de l’ampleur du dommage causé par une vie brève – des dizaines d’années de vie perdues –, comment expliquer que l’Etat-providence ne cherche pas à atténuer ces injustices, à travers une assurance sociale contre le risque d’une vie brève ? La réponse à cette question réside dans une double invisibilité : d’une part, l’invisibilité des victimes d’une vie brève; d’autre part, l’invisibilité du dommage subi par ces personnes. [...]
Crédit image : Freepik pour Flaticon.