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Comment sont anonymisés les sujets d’enquête ?

Publié par Mondes Sociaux, le 18 décembre 2020   1.3k

podcast vidéo par Baptiste Coulmont


« Florence C., 45 ans, secrétaire », « Ahmed, 12 ans, fils d’ouvrier spécialisé » ou encore « Émile, retraité »… Point n’est besoin de multiplier les exemples : vous aurez reconnu l’habitude sociologique d’indexer « ses » enquêtés par un prénom. Mais est-ce fréquent ?

J’ai lu environ 1450 articles, publiés entre 1960 et 2015, pour repérer l’arrivée de l’utilisation des prénoms dans la sociologie française. Par cette approche, je retrace ainsi les incitations à individualiser le monde social, à décomposer ce qui était présenté comme des collectifs homogènes, à prendre en compte la dignité de la personne et à transformer le texte sociologique en récit.

Alors que l’usage des prénoms pour faire référence aux personnes enquêtées était inexistant en 1960, un tiers des articles y font aujourd’hui recours. Comment l’expliquer ? Cette forme d’écriture tire son origine de quatre justifications : elle met en scène l’enquêté comme le personnage d’un récit ; elle indique son origine sociale : elle positionne théoriquement l’enquêteur ; elle permet enfin de retranscrire certains modes d’interpellation pendant l’enquête.

Si cette volonté de singularisation semble présider au choix du prénom, l’enquête révèle que les enquêtés recevant un prénom sont surtout des membres des classes populaires ou des enfants. Car seule une partie du monde social enquêté reçoit des prénoms : les « petits ». Faites une enquête dans les cabinets ministériels, et vos enquêtés ne seront pas Emmanuel, Pierre et Jean-Claude ;  ils seront indexés autrement, souvent par la fonction, le titre, la profession, ou encore la place dans la structure. Faites une enquête auprès d’intermittents du spectacle ou de femmes sans papier, et vous trouverez Camille et Fatou.

Cette volonté a pour conséquence une théorie implicite de la domination : la domination ne s’exerce pas directement, dans le corps à corps, mais de fonction à individu. Par exemple, c’est « le manager » qui sanctionne « Josiane » ; c’est « le responsable de la maraude » qui incite « Dylan » à se soigner. Dans une séquence hiérarchique, le prénom, selon qu’il soit seul ou non, ou associé ou non au nom, à l’initiale, à la fonction… est confié aux plus petits d’entre nous.

L’usage du prénom, en assignant une place implicite aux enquêtés, permet donc à la sociologie de se mettre en scène au sein du monde décrit : à distance de dominants réduits à une fonction lointaine et à proximité des petits – dont on a su capter la confiance, avec qui nous sommes à tu et à toi.

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