"Œuvres Art-Science : quelles perspectives pour la médiation ?" : retour sur l'apéro des Brasseurs de sciences #12

Publié par Léna Robert, le 14 mars 2019   2.5k

C’était le lundi 18 janvier 2019. Pour le 12e Brasseurs de sciences, nous nous sommes donné rendez-vous dans un nouveau bar, encore jamais testé par la team des Brasseurs : le Barallel. Et ce fut encore une belle découverte d’un lieu convivial et coloré, parfait pour nos soirées. 

Ce soir là, ce sont Julie et Frédéric qui ont animé la soirée. Au programme, un cadre détendu, de l’humour et beaucoup de folie.

Nous avons débuté cette soirée avec le classique « brise glace » qui entraina le brouhaha habituel, toujours aussi difficile à arrêter !

Puis il était temps de laisser la parole à nos trois intervenantes : 

  • Diane Trouillet, artiste plasticienne, docteure en Biologie cellulaire et moléculaire ;
  • Edwige Armand, enseignante-chercheure à l'INP de Purpan, docteure en Art numérique et présidente de Passerelle Arts, Sciences, Technologie ;
  • Marina Léonard, responsable de la programmation du Quai des Savoirs et anciennement coordinatrice du festival La Novela.

La soirée débute donc avec Diane Trouillet qui nous dit quelques mots sur son travail d’artiste plasticienne. Nous apprenons rapidement qu’elle mêle biologie et art dans ces œuvres. Son travail lui permet ainsi de questionner le rapport au vivant et à la matière. Elle travaille notamment à développer ses propres médiums organiques (avec de la spiruline par exemple), faisant référence à l’art éphémère. Plus largement, elle explique qu’elle étudie la zone d’hybridation qui existe entre le scientifique et la technique ainsi que la construction d’images et de formes. Dans sa démarche, Diane élabore des protocoles précis et se réfère beaucoup à l’open source pour la réalisation de ses œuvres Art-Science.

Puis c’est au tour d’Edwige Armand de nous expliquer son parcours. Son cursus démarre aux beaux-arts où elle questionne la notion de temporalité. Puis s’en suit un master de création numérique ainsi qu’une thèse. Elle s’intéresse à « L’écriture du monde », à la perception de la réalité, à la traduction des changements de mentalités à travers l’art. Et elle fonde en 2016 l’association « Passerelle Arts, Sciences, Technologie » dont elle est la présidente.

Enfin, Marina Léonard conclut cette introduction. Ingénieure agronome de formation, elle est désormais responsable de la programmation du Quai des Savoirs et était également coordinatrice générale de la Novela. Il s’agissait d’un festival de 15 jours axé sur la rencontre entre les sciences et les citoyens. Actuellement, Marina élabore la programmation culturelle du Quai des Savoirs, notamment autour de la thématique de l’exposition centrale. Son objectif est de proposer plusieurs angles afin de débattre et de questionner le public. Son approche Art-Science se traduit sous plusieurs formes (installations, pièces, films…), ce qui permet d’avoir des accroches différentes et de donner une ouverture différente à la thématique phare. Par ailleurs, le Quai des Savoirs apporte également un soutien et un accompagnement à la création par le biais de rencontres et de résidences artistes/chercheurs.

 

La rencontre entre artiste et chercheur

> On le constate, la place de chacun n’est pas facile à définir… ni à trouver !  

Il peut parfois s’agir d’un « mariage forcé », notamment lorsque l’artiste souhaite être accompagné d’un chercheur dans la conception de son œuvre. Dans ce cas, l’art peut prendre le dessus sur la science (ou la technique), ce qui peut complexifier le message à faire passer.

Un exemple est donné avec celui de l’œuvre artistique et participative du Quai des Petits au Quai des Savoirs. Ce dispositif numérique est constitué d’un écran projeté et d’une plateforme au sol sur lesquels évoluent des formes. Ces « bulles » s’écartent aléatoirement lorsqu’un enfant avance sur la plateforme. Du point de vue du médiateur, l’aléatoire est une notion complexe à expliquer aux enfants. L’art est alors prépondérante vis-à-vis du message scientifique.

Au-delà de la notion de message à faire passer, nous constatons qu’il y a une certaine nécessité d’élaborer ces projets à partir d’une envie commune, d’une rencontre volontaire et non d’une « commande ».

Selon Diane, il ne s’agit pas tant d’une collaboration mais plutôt d’une coopération, à partir de valeurs qui les réunissent.

Mais…

  • La réputation des scientifiques ne peut-elle pas être entachée par le « non rigoureux » des artistes ?
  • Quelle finalité y’a-t-il à mêler cohérence et intuition artistique ? Est-ce de l’esthétique uniquement ou quelque chose qui change les représentations ?

Bien que l’intention de faire une œuvre n’est pas la même pour un chercheur et un artiste, le but de cette coopération semble être de créer quelque chose qui va au-delà de ce que chacun pourrait faire individuellement.

Ainsi, pour le chercheur, l’objectif est de changer de regard, de point de vue sur sa démarche scientifique. Bref, c’est un réel challenge !

 

Et le public dans tout ça ?

> Est-ce que les démarches scientifique et artistique sont connues du public ? Sont-elles compatibles ?

Là où la recherche suit une démarche scientifique rigoureuse, l’art quant à lui semble n’avoir ni frontière, ni guide précis. Il s’agit donc de deux méthodologies différentes, presque opposées.

Une œuvre Art-science pourrait donc solliciter deux types de publics. Un public attiré par les sciences VS un public qui vient pour l’art contemporain.

À partir de cette réflexion s’est posée la question du public, de la manière dont il est intégré dans le processus de conception.

 Au début d’un projet, Diane nous explique qu’elle ne pense pas au public. La raison ? Car la conception artistique est pour elle un espace de liberté dans lequel il est difficile d’avoir une vision générale, d’anticiper la finalité. Il s’agit d’une zone de création, d’émancipation, d’interaction et de sérendipité. Sa démarche réside uniquement dans le fait de créer des « agrégats sensibles ».

> Mais alors, comment peut-on intégrer la vulgarisation dans les œuvres Art-Science? 

Edwige nous explique que le médiateur doit avant tout niveler son discours et ne pas utiliser de « termes simplistes » pour expliquer la démarche artistique. Il lui semble important de laisser des zones d’ombres, car « dans l’art, on n’est pas dans la communication mais dans le message ! ».

Nous revenons donc à notre problématique précédente, qui était de savoir si les démarches artistiques et scientifiques, bien que très différentes, pouvaient être compatibles. Leurs objectifs sont ainsi presque diamétralement opposés… L’un veut faire disparaitre les zones d’ombres, tandis que l’autre les provoque.

   

Quelle est la place pour la médiation/vulgarisation dans ces œuvres ?

Nous nous rendons vite compte que la vulgarisation semble être taboue pour les artistes. Parfois mal interprétée, elle semble être vue d’un mauvais œil. On lui reproche de « trop » interpréter une œuvre.

 Parfois, il arrive qu’en médiation, le rôle de l’art soit d’expliquer ou de représenter des notions scientifiques abstraites telles que l’espace, nous explique Nicolas Berton, médiateur scientifique.

 > Si l’art est à la recherche du beau, de l’esthétique et de l’émotion, la science est à la recherche du vrai.

Une personne du public a ainsi comparé l’art et la science à deux rails de train, deux choses parallèles qui ne peuvent finalement jamais vraiment se rencontrer.


©Sarah Debaud 

Selon Edwige, il s’agit de combiner deux domaines incompris. Et dans ce cas, elle se demande s’il faut doubler l’effort de compréhension d’une œuvre Art-Science ?

Il semble difficile de répondre simplement à cette question. Toujours est-il qu’il ne semble pas y avoir d’outil idéal pour aborder ces œuvres. Le rôle du médiateur est donc complexe. À cheval entre l’art et la science, entre l’émotion et la rigueur, le discours doit être orienté de manière à pouvoir donner des clés et des outils de compréhension au public, tout en gardant un certain retrait vis-à-vis de l’interprétation de l’œuvre.

Marina rappelle justement que la finalité de ces œuvres est double : le contenu et l’émotion. Ainsi, le public doit pouvoir être en mesure de « bader » devant l’œuvre, mais également de trouver un contenu technique, un message ou une notion scientifique.

Nous avons donc conclu que chaque œuvre avait son public (ou ses publics), mais également ses propres réceptions, car chaque personne repart finalement avec ce qu’elle souhaite.

  

Un TOP 3 des éléments clés à retenir dans un projet Art-Science

Vous connaissez notre penchant pour les « TOP ». Nous ne pouvions donc pas finir cette soirée sans demander aux intervenants un petit classement des 3 éléments clés qu’il faut retenir dans un projet Art-Science :

Selon Diane, il faut avant tout privilégier :

  • Les sens et valeurs
  • Une problématique et un but communs (coopération)
  • De l’aléatoire

Pour Edwige, ces éléments se recroisent :

  • Avoir un socle de questions communes
  • Partager une envie commune
  • Garder de l’indéterminisme

Et enfin, Marina ajoute qu’il ne faut pas oublier de présenter l’œuvre ou le projet dans le bon contexte, le bon lieu et au bon public.

  

Séquence pitch !

Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, il s’agit de présenter en 2 minutes (et pas une de plus !) un projet en cours dans le but de le faire connaître, de trouver de nouvelles idées ou encore des partenaires. Ça peut être un blog, un évènement, un nouveau dispositif...

Ce soir-là, nous avons laissé la parole à deux pitcheurs :

(1) 25% de science et 75% d’art

Ce sont plusieurs comédiens de théâtre, de la Compagnie 13, qui ouvrent le bal des pitch ce soir-là, pour nous parler d’un prochain spectacle sur la physique. Ou comment l’imaginaire de la physique modifie notre vision du monde, notre façon de raconter des histoires ?
 

(2) Et enfin, nous terminons sur une petite annonce d’un colloque « Science et médias : information ou communication ? » proposé par l’Université populaire de philosophie de Toulouse le samedi 02 février 2019. Si la communication scientifique devait se décomposer : entre un chercheur (l’émetteur), un public (le récepteur) et un message enrichi ou déformé par les médias (entre les deux).