Transparence, une actualité brûlante.
Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 21 février 2022 2.7k
Été 2023. Sur fond de réchauffement climatique et de fonte des glaciers, dans tous les pays du monde, la canicule exténue bêtes et gens. Devant la nature qui souffre et s'assèche, en ce temps où les êtres humains se posent la question de leur devenir, le roman de Marc Dugain, Transparence, édité en 2019, dont j'avais déjà rendu compte en 2022 se révèle d'une brûlante actualité.
Il se situe dans toute une lignée de romans dystopiques annonçant la prochaine venue de jours sombres liés à l’irresponsabilité de nos dirigeants, à notre avidité collective qui met à sac les ressources d’une planète rendue progressivement inhabitable par notre égoïsme collectif, et fait office de chambre d’écho pour nos interrogations.
L’intrigue
Dans les années 2060, Cassandre Landmordottir, directrice de la société Transparence a installé son siège en Islande, l’un des rares pays encore épargnés par le réchauffement climatique qui menace l’existence humaine sur la planète.
Elle annonce avoir trouvé, avec trente ans d’avance sur ses concurrents le plus prestigieux, le secret de l’immortalité humaine. Elle le prouve en renonçant de manière spectaculaire, à son corps de chair au profit d’une enveloppe minérale, immortelle et imputrescible, exempte de tout besoin.
Le choix du prénom de Cassandre est loin d’être anodin. Rappelons en effet que la fille d’Hécube et de Priam, au moment de la guerre de Troie, prédisait pour ses contemporains les catastrophes à venir et n’était jamais écoutée. Comme la Cassandre antique, celle de 2060, est une lanceuse d’alerte. Ses avertissements empêcheront-ils le malheur d’arriver ? C’est tout l’enjeu du roman.
Un personnage christique
Entourée de 12 collaborateurs, -12 apôtres ?-, avec parmi eux, on l’apprendra plus tard, un traître, Cassandre fait figure de Christ ressuscité. En respectant un idéal d’amour et de liberté, il s’agit pour elle, selon ses propres paroles « de remettre l’humanité dans la voie dont elle s’est écartée, celle de la vie simplement ». « Je voulais relever le défi de cette époque passionnante où, menacé de disparition, l’homme devait se réinventer complètement.»
Un message qui devrait lui valoir, selon sa propre analyse, d’être crucifiée comme le fut Jésus car, tout comme lui, elle s’élève contre les églises, les chapelles, les politiques. La parution de son Nouveau nouveau testament qui connaît un succès immédiat et prodigieux, est un nouveau pas franchi vers ce rôle de nouvelle Messie qu’elle endosse en toute connaissance de cause.
Un monde connecté
Les recherches d’Endless, le programme de la société Transparence destiné à conquérir l’immortalité pour les humains se situe « dans le mouvement de la révolution numérique qui consistait à collecter des milliards d’informations sur les individus afin d’approcher la connaissance absolue du sujet ».
Après avoir causé un chômage considérable, la révolution numérique a « par la rémunération des données, permis d’instaurer une sorte de revenu universel ». La majorité des gens considère désormais comme normal d’abandonner leurs données personnelles aux géants du net contre une infime rémunération sans commune mesure avec les profits considérables générés par cette manne. En corollaire de ce mouvement vers toujours plus de numérique, ils renoncent également non pas au savoir « parce que la révolution digitale, c’est le savoir…, le savoir éperdu », mais à la réflexion car à quoi peut servir un savoir même immense « si aucune pensée, aucun esprit critique n’est relié à la connaissance ? ».
Une autre conséquence est la disparition programmée de la démocratie. Les consultations permanentes donnent l’illusion d’un pouvoir populaire mais les votes influencés par les médias et le sentiment d’insécurité renforcé artificiellement permet un meilleur contrôle des individus créant des conditions propices à l’avènement de démocraties autoritaires qui prennent « pacifiquement » le contrôle sur les individus.
Protéger les humains de la mort et la planète de l’avidité humaine
Dans ce contexte, l’extinction programmée des autres formes de vie, notamment des oiseaux, et bientôt de l’humanité elle-même est en marche. La raison en est simple : « La primauté de l’homme de sa vie, de son confort, sur toute espèce et le modèle économique qui va avec » a généré la création de besoins toujours nouveaux à satisfaire de toute urgence « dans une prédation de l’immédiat». « Par avidité, l’homme a détruit sa propre planète, la transformant en décharge. »
Le programme Endless est une lutte contre la mort. Transplanter l’âme humaine dans une enveloppe corporelle artificielle permettra, selon Cassandre d’éviter que l’humanité ne continue à piller la planète. Mais la conquête de l’immortalité a un prix : celui d’une transformation profonde de l’enveloppe corporelle des humains. Il s’agit de reproduire l’individu « qui n’est fait que de matière destinée à se décomposer » dans un corps artificiel grâce aux données qu’il émet tout au long de sa vie.
Dès le début du roman, par le meurtre symbolique de son corps de chair, Cassandre donne la preuve que cela est possible et s’offre à tous comme le prototype de l’humanité à venir.
Sur fond d’Intelligence Artificielle et de transhumanisme
Deux conceptions de l’être humain s’affrontent. La première est celle des GAFAM, NATU et autres BATX qui envisagent de réserver l’immortalité à une petite élite dirigeante. il faut « envisager une espèce nouvelle, plus aboutie, issue de l’intelligence artificielle… » avec, bien sûr la conservation, non pas de tous mais « d’un noyau d’anciens humains réimplantés à partir de leurs données ». Chez les transhumanistes, Cassandre dénonce non pas un amour de l’humain mais un dégoût du peuple ainsi que de la chair, matière putrescible, une entreprise liée au désespoir et à la fin annoncée de l’espèce humaine.
Par son programme, en revanche, elle se propose d’offrir l’immortalité à tous ceux qui la méritent, quelles que soient leur origine ou leur statut social. « Je veux rendre à l’Homme une forme de dignité, de pensée, de libre arbitre, de rêverie, d’irrationnel et le sortir de ce siphon dans lequel il est aspiré pour que sa conscience serve à autre chose qu’à consommer sans fin et à valoriser des fortunes déjà considérables qui n’ont d’autre objectif que de grossir encore et toujours ».
Pour accéder à l’immortalité, il faut être considéré comme digne de la vie éternelle, c’est-à-dire avoir la capacité de vivre en société et de respecter l’environnement. Un message positif même si on peut craindre que ce soit au prix de la mise en place d’une sorte de dictature du bien car ce sera les 12 associés et la Messie qui choisiront les élus avec l’aide d’un algorithme.
La fin de l’histoire
Après les déclarations de Cassandre et la publication du Nouveau nouveau testament où elle développe sa doctrine, l’adhésion du public est totale, l’emballement médiatique sans précédent. Les populations se soulèvent contre les tyrans. Les êtres humains retrouvent une raison de vivre et changent leur relation aux autres. Il en résulte un désarmement général. L’humanité fait un énorme pas en avant car la promesse de la vie éternelle est un moteur pour pratiquer le bien sans contrainte.
Mais les haines contre la Messie montent en même proportion jusqu’à la chute finale qui n’enlève rien au caractère exemplaire de cette utopie. Car il s’agit bien d’une utopie reposant sur un mensonge initial. Cette évolution de l’humanité vers l’immortalité que nous avons cru voir se réaliser sous nos yeux dans une apparente « transparence » n’est autre qu’une fable. Le roman se termine par une volte-face suivie d’un coup de théâtre que le lecteur aura à découvrir.
Un peu plus de deux mille ans après le Christ, l’héroïne de Marc Dugain, par le biais de ce roman où la science s’associe avec la littérature pour nous encourager à réfléchir, nous adresse le même message d’amour qui aboutit aux mêmes conséquences.
Pour en être programmée, sa défaite, qui ne devrait pas surprendre le lecteur, laisse pourtant à celui-ci un arrière-goût d’amertume mâtinée, car les êtres humains sont décidément incorrigibles, d’un sentiment d’attente. Quand apparaîtra un nouveau Messie et quelle forme prendra son combat contre l’Institution ?
La question reste posée.