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LE COIN LECTURE

Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux ?

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 28 juin 2017   2.7k

Un livre de Frans de WAAL, édition Les liens qui libèrent.

Sujet rebattu s’il en fut, l’intelligence animale a généré bien des controverses. Par son titre volontairement accrocheur le primatologue néerlandais Frans de Waal rappelle la polémique qui a divisé le monde scientifique depuis des décennies.

Dès les premières pages, le ton est donné : « Nous adorons comparer et opposer intelligence humaine et animale en nous prenant comme référence… c’est une vision dépassée. il ne s’agit pas de comparer les humains aux animaux mais une espèce animale, la nôtre, à une multitude d’autres espèces. »

Les humains, constate l’auteur s’imaginent supérieurs à toutes les autres espèces animales mais cette manie de la supériorité entache aussi les relations humaines. Le racisme en est un exemple typique. L’homo sapiens méprise les néandertaliens. C’est faire bon marché des découvertes récentes qui révèlent chez ceux-ci un cerveau légèrement plus gros que le nôtre, un génome compatible et un mode de vie comparable. Le feu, l’enterrements des morts, l’usage des outils et des instruments de musique étaient connus de l’homme de Néandertal comme de nos ancêtres directs.

Les expériences des éthologues reposent sur une connaissance approfondie des espèces qu’ils observent dans leur milieu naturel. Il s’agit pour eux de connaître parfaitement leurs sujets d’études, de « retracer le parcours social des animaux observés sur de multiples générations… de comprendre les liens de parenté et d’amitié qui fondent la vie de groupe ». Ils mènent des expériences pour analyser la manière dont les animaux se servent des outils, parfois les fabriquent en modifiant ce qu’ils trouvent dans leur environnement. Comment transmettent-ils leurs connaissances ? Se projettent-ils dans le temps ? Ont-ils la capacité de planifier certaines de leurs activités ? Sont-ils capables d’anticiper les actions à venir et de mettre en place des stratégies pour atteindre leur but ? Autant de sujets étudiés par les éthologues grâce à leurs observations du comportement spontané des animaux. Une collecte systématique de données ainsi que l’analyse de centaines d’incidents filmés en vidéos leur permettent d’avancer des hypothèses puis d’en vérifier la véracité. Mais cette méthode a ses limites. L’observation pure ne suffisant pas, pour étudier la cognition qui sous-tend les comportements observés, Ils croisent leurs travaux avec ceux de leurs collègues dont l’observation porte sur des animaux en captivité. « Ce sont là » selon Frans de Waal « des pièces différentes du même puzzle ».

L’acquisition du langage par les animaux est un autre axe de recherche des éthologues. Ils se posent la question de savoir si le langage joue un rôle premier dans le processus de la pensée. Après avoir consulté les expériences de Jean Piaget sur la pensée des enfants préverbaux, Frans de Waal conclut que « le langage n’est pas la matière de la pensée même s’il assiste la réflexion humaine en lui offrant des catégories et des concepts ». Le grand avantage du langage humain, c’est de transmettre des informations qui « transcendent ici et maintenant », d’exprimer des sentiments et des émotions, de transmettre du savoir, de développer la philosophie et la littérature. Les animaux n’ont pas de compétences linguistiques semblables aux nôtres, mais les études sur leur langage ont dissipé l’idée d’une communication mutuelle qui serait purement émotionnelle. La réflexion sur leurs modes de communication a contribué à ouvrir le champ de la cognition animale.

Ce livre très documenté qui fourmille d’anecdotes savoureuses nous invite à cesser de faire de l’homme la mesure de toutes choses. Le but recherché par ceux qui se penchent sur la question controversée de l’intelligence animale est d’analyser les aptitudes que les hommes ont en commun avec les primates et d’autres animaux parmi lesquelles la reconnaissance faciale, le traitement des récompenses, le rôle de l’hippocampe dans la mémoire et des neurones miroir dans l’imitation… La dissimulation pour bénéficier seul d’un avantage et, à l’inverse, l’empathie associée à des comportements d’entraide, attitudes que l’on a tendance à considérer comme strictement humaines font partie de l’arsenal des primates, mais pas d’eux seulement. Les corvidés, les seiches, les éléphants, les dauphins développent des attitudes que nous jugeons à tort propres à notre espèce.

Il est temps que les humains abandonnent les fanfaronnades dont ils sont coutumiers pour se poser des questions pertinentes parmi lesquelles celle qui donne son titre à cet ouvrage : Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?

Arrivés à ce stade , il nous reste à laisser le mot de la fin à Frans de Waal : il est logique « de faire l’hypothèse de la continuité dans tous les domaines, en écho à la célèbre observation de Charles Darwin : la différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux n’est qu’un différence de degré, et non d’espèce. »