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LE COIN LECTURE

La vie secrète des gènes, d'Evelyne Heyer

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 16 février 2023   1.1k

(Editions Flammarion)

Evelyne Heyer, professeur d’anthropologie génétique au Muséum national d’histoire naturelle, entraîne ses lecteurs, au fil d’une enquête passionnante et d’une plume alerte, dans un voyage sur nos origines dans la droite lignée des trois questions que se posent les humains : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons nous ?

Les recherches entreprises sur l’ADN s’avèrent en effet essentielles pour comprendre l’évolution de notre espèce au cours des âges, les relations entre l’Homo sapiens et les autres races humaines ou préhumaines, et surtout l’émergence de l’intelligence qui nous différencie des autres animaux peuplant notre planète.

L’ADN carburant de toute évolution

L’aléa génétique est le carburant de toutes les grandes inventions évolutives depuis l’origine de la vie : la respiration des premières bactéries qui a enrichi l’atmosphère en oxygène, le passage d’organismes unicellulaires à des individus constitués de plusieurs cellules, l’apparition du cerveau comme système nerveux central. Ces mutations sont fondamentales car elles sont le moteur de l’évolution. Aucun organisme vivant n’existerait sans elles.

Lors de chaque division cellulaire, l’ADN est recopié afin de fournir deux exemplaires d’ADN qui habiteront les cellules filles. Cette copie n’est pas parfaite. De façon aléatoire, des erreurs se glissent dans la reproduction. Notre ADN contient trois milliards de lettres. Or, seules trente à quarante mutations entachent en moyenne sa copie à chaque génération, ce qui correspond à soixante-dix coquilles pour chaque nouvel être humain. Ce sont ces mutations qui constituent un réservoir de potentialités pour des adaptations futures.

Les chercheurs à l’œuvre

L’étude de l’ADN apparaît donc comme une formidable machine à remonter le temps, puisque la molécule est en fait formée d’une mosaïque de fragments d’ADN reçus de nos ancêtres. Mais comment les chercheurs procèdent-ils pour explorer cette piste ?

C’est en extrayant de l’ADN des sédiments prélevés dans les grottes préhistoriques que les paléogénéticiens parviennent à résoudre les mystères posés par l’évolution. En étudiant les sites préhistoriques, ils ont pu dresser une sorte de carte dans le temps et l’espace.

Voici 60 000 avant notre ère, cinq espèces humaines cohabitaient sur la terre. En plus de Sapiens, les Hommes de Néandertal et de Denisova avaient en commun avec nous les groupes sanguins A, B et O. L’Homo floresiensis, le hobbit de la préhistoire vivant sur l’île de Florès et mesurant entre un mètre et 1 m 10, tout comme l’Homme de Luçon haut d’1 mètre 20 demeurant au nord des Philippines, ont très tôt disparu. Mais Sapiens a longtemps coexisté avec les deux autres races d’Hommes : Néandertal, dont la lignée s’était séparée de la nôtre 700 000 ans avant notre ère et qui vivait en Eurasie, ainsi que l’Homme de Denisova,dont les restes ont été retrouvés dans la grotte du même nom située dans les monts de l’Altaï en Sibérie, et qui peuplait l’Asie.

C’est 30 000 ans avant notre ère que ces races cousines se sont progressivement éteintes sans que les raisons de leur disparition ne soient élucidées. Et l’Homo sapiens est resté la seule espèce humaine sur la terre.

Sapiens et Néandertal

Grâce aux recherches des anthropologues, il a été possible de déterminer l’origine africaine de notre espèce. On date de 70 000 ans avant notre ère la sortie d’Afrique de Sapiens et son installation en Europe, où il semble qu’il y ait eu quelques croisements avec les néandertaliens avant la disparition de ceux-ci.

De grandes ressemblances existaient en effet entre les deux espèces. Les néandertaliens possédaient un cerveau aussi gros que le nôtre, voire plus. Ils enterraient leurs morts et avaient développé une culture symbolique. Ils maitrisaient le feu, chassaient en groupe et fabriquaient des outils. Ils étaient également équipés d’un système phonatoire et auditif très proches des nôtres, ce qui laisse à penser qu’ils étaient aptes à parler. Toutefois, l’originalité du langage humain ne provient pas seulement de l’émission des sons mais de l’association de phonèmes ou de syllabes pour produire des mots puis des phrases. C’est la richesse de cette combinatoire qui est proprement humaine. Les grands singes n’y ont pas accès. Pour les néandertaliens, la question reste posée.

Des différences significatives ont cependant été notées entre les deux lignées. Les néandertaliens ne semblent avoir pratiqué ni la peinture ni la sculpture, et ils n’ont pas développé des technologies d’outillage. Mais seuls soixante gènes, dont ils auraient été les détenteurs exclusifs, les distinguent des Sapiens. C’est très peu au regard des 20 000 gènes que l’on comptabilise dans les génomes des deux lignées.

Une seule race humaine

Entre les humains vivant actuellement sur la planète, les différences que l’on peut constater (apparence, couleur de peau) ne marquent pas, contrairement à ce qu’exprime le langage courant, l’appartenance à des races différentes, mais résultent bien de l’adaptation à l’alimentation et à l’ensoleillement du milieu dans lequel nos ancêtres ont évolué dans le passé.

Notre ADN est composé à quelques variantes près de 2 % de gènes néandertaliens, 8 % de chasseurs cueilleurs, 60 % provenant des fermiers venus d’Anatolie qui ont supplanté progressivement les chasseurs cueilleur lors du néolithique et 30 % d’un peuple Yamnaya : des éleveurs nomades des steppes vivant au nord de la mer Noire et de la mer Caspienne, dans la région de la Volga, venus s’installer dans nos contrées pour des raisons non élucidées voici plus de 5000 ans.

Les Européens du néolithique, 10 000 ans avant notre ère, qui ont peint les grottes de Lascaux, étaient noirs de peau et il a fallu attendre 6000 ans avant notre ère pour que leur peau prenne une teinte plus claire pour une meilleure adaptation au climat froid des pays où ils vivaient. Donc tous les sapiens, quelle que soit leur couleur de peau ou leur provenance géographique, sont cousins et identiques à 99,9 %. Actuellement, il n’existe qu’une race d’humains sur la terre, celle des Sapiens.

Les gènes et l’hérédité

Aujourd’hui les généticiens l’ affirment, il n’existe pas de gène de l’intelligence. Nos aptitudes intellectuelles découlent essentiellement de notre éducation et non pas de l’hérédité comme on l’a longtemps cru. Pour expliquer l’intelligence hors norme qui distingue les humains du monde animal, ils évoquent l’évolution qui, au fil des derniers millions d’années, a favorisé le développement de notre cerveau.

Il semblerait que plus la nourriture est diversifiée et compliquée à obtenir, plus le cerveau se développe. Les singes dont descendent les humains devaient savoir localiser les fruits, déterminer la période de l’année où ils sont mangeables, et donc dresser une carte mentale des lieux de cueillette. Chasser ou débarrasser les fruits de leur coque supposait l’invention d’outils et favorisait également un développement de l’intelligence.

La deuxième raison évoquée par les anthropologues pour expliquer l’intelligence est liée aux incessants rapports sociaux qu’entretiennent les humains. Relations multiples, interactions riches exigeant des aptitudes cognitives et les faisant évoluer. En fait, les humains sont des singes qui coopèrent, possèdent une culture, s’adaptent au milieu et développent plusieurs types d’intelligence : créative, pratique, émotionnelle.

Un livre passionnant donc, qui développe avec talent le point de vue des anthropologues. Pour compléter les connaissances développées dans ce remarquable ouvrage, on lira avec profit des œuvres traitant de l’évolution darwinienne et on pourra réfléchir également aux recherches des paléovirologues, qui ont montré l’importance dans notre génome des séquences issues de virus, soit dormants, soit s’exprimant à diverses occasions.

Mais ceci est une autre histoire.

Affaire à suivre !