Un monde au pluriel (#2)
Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 4 mars 2024 490
Sur des supports variés, des formes multiples, de toutes les couleurs, sous toutes les latitudes, à toutes les altitudes, et plus de 20 000 espèces répertoriées à ce jour : les lichens sont des organismes singuliers dont les caractéristiques se conjuguent au pluriel.
Les lichens se sont installés sur tous les supports, des plus attendus aux plus hostiles en apparence. Bien sûr ils sont bien en vue sur les arbres et les rochers, mais aussi sur des bois morts ou sur des rocailles. Ils peuvent s’installer sur des murs en brique, des toits en tuiles, des monuments en pierres ou en béton, sur des clôtures en bois, des containers en métal, dans des lieux très fréquentés ou pratiquement désertés, ou encore sur des végétaux, et même… sur d’autres lichens. Le substrat, est seulement un support : ils n’attendent pas de lui qu’il les nourrisse. Le fonctionnement en symbiose leur donne cette « indépendance ». Seuls, ni le champignon, ni l’algue, n’auraient pu s’installer dans certains endroits, ensemble ils le peuvent. Les lichens sont dits corticoles (sur les arbres), terricoles (sur les sols), saxicoles (sur les roches), muscicoles (sur les mousses), et lignicoles (sur les vieux bois).
La morphologie des lichens offre elle-aussi une diversité étonnante, 3 grands groupes ont été définis afin d’initier la classification. Trois types de corps : les crustacés, les fruticuleux et les foliacés. Les premiers se présentent en une couche mince qui semble collée au support, comme des écailles : une croûte qui en fait des lichens crustacés. Les seconds sont suspendus ou dressés, ils peuvent être poilus, arbustifs, buissonnants ou en forme de coupe : aspect du bois, et forme d’arbrisseau, la définition des fruticuleux. Les troisièmes sont souvent grands et « feuillus », ou au moins semblent avoir des feuilles (donc lichens foliacés), ils se fixent sur le support avec le thalle, qui semble être une plaque centrale. Évidemment il existe des exceptions : certains crustacés ressemblent à de petits feuillus mais avec écailles. Les foliacés peuvent être plats, bosselés, alambiqués…Bref, comme toujours chez les lichens, diversité fait loi. Pour l’heure, il semble que ce soit le champignon qui soit responsable de la forme, mais pas seulement, puisque la forme générale dépend aussi du support sur lequel le lichen va s’établir et de son environnement. Une certitude : deux lichens de la même espèce sont toujours de même forme.
Dans l’imaginaire collectif, le lichen est une « sorte de mousse » souvent verdâtre ou gris-bleue, mais en réalité on trouve des lichens de toutes les couleurs. Du noir au blanc en passant par les jaunes, rouilles, verts, bruns, la palette est complète, et les nuanciers aussi ! La couleur naturelle est… le vert de l’algue, et les autres couleurs sont liées à la présence d’acides lichéniques. L’espèce Xanthoria parietina par exemple est un lichen jaune orangé, mais s’il pousse à l’ombre, il synthétise moins de pariétine (le pigment) et il apparait plutôt vert. Le support peut avoir une incidence s’il contient un métal comme le fer par exemple, qui donne une coloration « rouille » à certaines espèces de lichens crustacés.
Enfin, les lichens sont (presque) partout. Seuls les rebutent, les fonds marins (manque de lumière, donc photosynthèse impossible et donc pas de nutriments), la peau animale vivante (leur croissance est trop lente pour s’installer sur les cellules de la peau qui se renouvellent) et les environnements très pollués (ils n’ont ni cuticule pour se protéger, ni sève pour diluer les polluants, ils se retrouvent exposés sans filtres). Bien sûr, tous les lichens ne sont pas logés à la même enseigne : quand certains disparaissent d’un lieu pollué, d’autres peuvent arriver : Lobaria pulmonaria est très sensible à certains polluants atmosphériques, d’autres comme Diploschistes muscorum tolère des concentrations en métaux lourds 10 fois supérieures à celles rencontrées normalement dans la nature. Mais une atmosphère soufrée peut engendrer des déserts lichéniques. Températures très chaudes, très froides, peu importe il y a toujours des espèces de lichens pour s’installer : à l’étage Alpin, quand plus rien ne peut pousser, les lichens, eux, sont là. Leur capacité de reviviscence leur permet de vivre au ralenti quand il fait trop froid, et dès que la température est favorable, le métabolisme redémarre. Au sommet d’une montagne donc, mais aussi dans un désert, sur des glaciers, au bord d’une rivière, bref, plus au sud, plus au nord, plus haut que n’importe quel autre organisme photosynthéthique. Difficile de dissuader les lichens !
Ces « pionniers » ont vu le jour à une époque où les conditions atmosphériques étaient très différentes. L’algue comme le champignon étaient originellement aquatiques, c’est l’association qui leur a permis de s’installer dans un environnement terrestre. Ils se sont maintenus, adaptés ils ont littéralement connu « des » mondes. La forme symbiotique est sûrement un des facteurs explicatifs de la longévité, de la diversité et de l’adaptabilité. Les cyanobactéries (qui peuvent faire partie du symbiote) sont même considérées comme ayant activement participé à la création du vivant, puisqu’elles produisent l’oxygène. Les lichens forment aussi des communautés, et l’étude de ces communautés, de leur évolution donnent des informations supplémentaires sur l’environnement : c’est la lichenosociologie.
Le Service des Collections de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier a entrepris un chantier d’envergure : le projet NIEHL, pour la Numérisation, l’Informatisation et l’Etude des Herbiers de Lichens. Ce travail a été retenu dans le cadre de l’Appel à Projets du Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation en 2022, et réalisé en 2023. Les herbiers toulousains (ainsi que des planches d’Herbiers des collections de Rennes et de Strasbourg) numérisés et informatisés, permettent désormais de constituer une base de données représentative de la biodiversité lichénique en France (et même au-delà) il y a un peu plus d’un siècle.
- Région Occitanie : Herbier Saltel (Aveyron, Cantal, Haute-Garonne), 1870-1903 soit 135 parts
- Région Nouvelle Aquitaine : Herbier Chaubard (Lot-et-Garonne) début XIXe soit 247 parts, et Planches significatives de l’Herbier Lichens Sudre (Lot-et-Garonne), début XXe.
- Région Bourgogne : Herbier Fautrey (Côte d’Or), 1890-1910 soit 275 parts
- Région Grand Est : Lichens de l’Herbier Mougeot et Nestler (Vosges, Rhin), 1811-1843 soit 100 parts
- Région Bretagne : Types de l’Herbier Des Abbayes (Côtes d’Armor), milieu XXe soit 90 parts,
- Herbier Rouane Bretagne (Finistère) XXe siècle, soit 39 parts
- Région Normandie : l’Orne avec les données déjà numérisées de l’Herbier Olivier collecté en 1880 soit 295 parts.
Et en plus quelques planches d’ailleurs :
- S-E des Etats Unis : Herbier Paul Otto Schallert (exsiccata de l’herbier de l’université du Dakota), 1960-1962, 31 parts.
- Mexique : Herbier « Rouane », 1965, 38 parts.
La numérisation s’accompagne d’une révision, et elle est aussi l’occasion de mettre en lumière des collections rarement montrées et pourtant précieuses historiquement, scientifiquement, et culturellement. L’occasion de faire le point en 5 épisodes.
Rédaction : Corinne Labat
Conseillers Scientifiques :
Nathalie Séjalon-Delmas, enseignante chercheure (Université Toulouse III - Paul Sabatier)
Xavier Bossier, technicien de recherche (Fédération de recherche FRAIB)