Sport et Santé #3 : Recherche de pointe
Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 23 juillet 2024 330
La pharmacologie moderne, que l’on pourrait appeler synthétiquement « science du médicament », a des racines à Toulouse, avec le travail du Professeur Montastruc et de ses équipes. Que sont ces molécules ? Quels sont leurs effets ? Quelle est leur toxicité ? etc. Il créé en 1975 au CHU de Toulouse le premier service de pharmacologie clinique de France. Il a toujours raisonné en envisageant le médicament dans un continuum, et non comme un objet isolé. C’est ainsi qu’il innove en intégrant de nouveaux concepts dans ses recherches : pharmaco-épidémiologie, pharmaco-économie, et plus tard dans les années 1990 la pharmacologie-sociale. Une pharmacologie globale, donc, et un scientifique accompli, qui a choisi de ne pas quitter le giron de l’université toulousaine : recherche et enseignement.
Dans les deux dernières décennies du XXe siècle, une autre image du sport émerge, et surtout de nouveaux champs de recherches s’ouvrent, investis par les sciences humaines et sociales. Dans les années 1980, la formule « le sport c’est la santé » devient une injonction. Jusqu’alors des ouvrages montrant les dangers de pratiques sportives mal-dosées, mal-adaptées, paraissaient régulièrement et les médecins pouvaient être partagés sur ses effets bénéfiques. Mais, dans un contexte épidémiologique dénonçant de plus en plus les effets négatifs du manque d’exercice, la politique s’est progressivement emparée de la question. Comme le montre Yves Morales (chercheur au CRESCO de Toulouse), le virage est amorcé lorsque le ministre de la santé, Jack Ralite, demande un rapport au Dr. Koralsztein sur les liens entre sport et santé. Plus de discussions : il faut faire du sport. Et l’aspect accidentogène est une variable intégrée, que l’on ne remet pas en cause, d’autant que l’on s’appuie le plus souvent sur des études qui concernent le sport de haut niveau. Et même, pour le sport amateur ; l’Académie des sciences couronne en 1991 une publication tirée d’une thèse intitulée : « Traumatologie sportive et ludique de l’enfant »[1]. Selon le principe d’un bénéfice-risque favorable l’image positive du sport en sort néanmoins particulièrement renforcée.
La décennie suivante va voir une inquiétude sociale gagner du terrain : la sédentarité, qui devient l’une des causes majeures de la mauvaise santé de la population, associée à de nombreuses pathologies. Et la prévention nécessaire vise notamment deux populations cibles : celle atteinte par l’obésité et le public vieillissant. L’obésité est rapidement considérée comme une épidémie mondiale tandis que le vieillissement est redouté surtout en raison de son coût économique et social lié à la perte d’autonomie des personnes âgées. Les risques sanitaires associés à la sédentarité diffusent dans les médias, les propositions de programmes d’activités physiques se multiplient et l’idée infuse. En 1993, à l’initiative de la Fédération Française d’Education Physique et de Gymnastique Volontaire (dont le président Gérard Auneau est directeur de l’UFRSTAPS de Toulouse, ex UEREPS), est créée la Confédération européenne du sport-santé (CESS). La croisade de lutte contre la sédentarité est enclenchée. Le néologisme du « sport-santé » s’impose désormais dans la société. Yves Morales explique qu’il devient alors un « champ de pratiques physiques à dimension préventive, conjuguant les représentations sociales positives du sport, selon la dynamique d’un ‘’corps capital’’ ». A l’amorce du nouveau siècle, l’injonction est de participer à cette cause universelle : les acteurs du sport sont conviés à assurer une fonction de service public, et aider à lutter contre le manque d’exercice des populations. Suivent de nombreux rapports, et depuis 2012, le sport-santé est mis à l’agenda politique dans un Plan National. En 2015, le terme de sédentarité a été requalifié : de facteur de risque de maladies chroniques, il devient lui-même le risque à travers l’insuffisance d’activité physique. Et cette notion sera constitutive de la Stratégie nationale Sport Santé 2019-2024.
Parallèlement, les différentes approches scientifiques continuent à se développer : anatomie, physiologie, etc. L’amélioration de la performance reste d’actualité. On a vu éclore, par exemple, les « prédictions morphologiques », en particulier dans les fédérations olympiques. On dessine un corps-idéal en fonction de l’activité physique. Et comme toujours, ces règles-là ont aussi leurs exceptions : un basketteur de moins d’1m90, ou une gymnaste de plus d’1m60. Et puis désormais, la recherche peut aider à performer avec les travaux des neurosciences, par exemple. Une bonne perception sensorielle permet une bonne anticipation et optimise la réussite du geste. A la Faculté des Sciences du Sport et du Mouvement Humain (F2SMH) de l’Université Paul Sabatier, et dans les laboratoires liés, on recense des recherches sur les systèmes auditifs, visuels mais aussi sur les stratégies de la prise d’information (Anne Ille), ou encore sur les perceptions émanant de tout le système neuro-musculaire (Julien Duclay) : muscles tendons, ligaments, articulations. On parle désormais de proprioception ou de système proprioceptif qui inclue toutes les formes de perceptions, et la gestion par l’individu de toutes ces informations. D’autres études ont pour objet le système neuro-musculaire, ses facultés d’adaptation, mais aussi l’influence des paramètres psychologiques. On évoque des modèles bio-psycho-physiologiques d’évaluation des comportements des individus. Le sport n’est définitivement plus une « simple » question de mécanique et de mécanismes ; l’activité sportive est considérée comme un tout, une activité qui sollicite et concerne l’individu dans son unité (corps et esprit), en incluant aussi son environnement.
Ainsi, le Sport-santé a été fabriqué, adopté, adapté, puis intégré aux politiques publiques, commercialisé et, depuis plus de 3 décennies, conceptualisé par les chercheurs en sciences sociales. Fernand Lagrange, médecin physiologiste qui a beaucoup œuvré à la promotion du sport et de l’éducation physique, écrivait en 1890[2] que l’essentiel était d’« arriver à déterminer quel exercice s'adapte le mieux aux conditions diverses dans lesquelles peut se trouver le sujet. » Et finalement, à plus d’un siècle de distance, le précepte tient toujours !
Bibliographie :
Yves Morales, Fabrique des risques liés à la sédentarité et promotion du “sport-santé” en France (1960-2022) , Émulations, n° 45, Mise en ligne le 10 janvier 2024.
Julien Duclay, Dorian Glories, Recurrent inhibition contribution to corticomuscular coherence modulation between contraction types, Scandinavian Journal of Medicine & Science In Sports published by John Wiley & Sons Ltd. 2023.
Thon B, Albaret JM, Andrieux M, Ille A. Processus cognitifs et apprentissage des habiletés motrices. Revue de Neuropsychologie, volume 8, 2016, pp 87-92.
Rédaction : Corinne Labat, Service Jardin Botanique et Collections Scientifiques, Université Toulouse III - Paul Sabatier.
Crédit Photo : Amélie Boyer, Service de l'Inventaire et de la Connaissance des
Patrimoines, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie.
[1] Jacques Gaubert, Joëlle Bortolazo, Traumatologie sportive et ludique chez l’enfant, Masson, 1991.
[2] Physiologie des exercices du corps, 4ème édition, Paris, 1890