Communauté

EXPLOREUR - L'agenda

Sport et Santé #2 : Le temps des mesures

Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 19 juillet 2024   420

Les questions anatomo-physiologiques sont au cœur des travaux dans le premier XXe siècle. Le sport se développe, et la science adapte son logiciel pour l’étudier. Le ton est donné par le Docteur Maurel dès 1914 qui donne lecture à l’Académie des Sciences de Toulouse d’observations concernant la natation. Son travail comprend deux axes : la vitesse des nageurs, et les modifications de pulsations et de température générées par l’exercice physique. Des mesures pour calibrer la performance. Il a observé différentes courses, dont une course de fond à Toulouse (départ Pont Neuf, arrivée Canal de Brienne près des Ponts-Jumeaux). Et il livre plusieurs résultats comme l’élévation de la pulsation et la baisse de la température. Et il constate aussi que la technique du nageur joue plus sur sa résistance que sur sa vitesse : même sur une distance courte (100 m) un bon nageur reste au-dessus de la minute, alors que sur une course de fond un bon nageur est régulièrement à plus de 60 m/minute. Il termine par un constat : « la mode, la vogue nous ont lancé sans guide dans la voie des sports, et nous les pratiquons tous à l’aveuglette ». Et il donne quelques axes de recherches : déterminer « la quantité maximum de calorique » que peut produire un organisme, quelle est la limite avant qu’il ne « surmène » ses organes, et tout cela, évidemment, en fonction de toutes les variantes (âge, sport, etc. mais encore le genre !).

Oscillométre sphygmométrique au complet avec sa malette de transport, Musée des instruments de médecine des Hôpitaux de Toulouse

Le Docteur Jean Arlaud a dédié son travail d’enseignement et de recherche à la médecine du sport pour « appréhender les paramètres scientifiques et techniques ». Dès la création de l’IREP (Institut Régional d’Education Physique) il en est l’un des piliers. Cet amoureux de la montagne, est à la fois un alpiniste chevronné et un grand skieur et il s’est donné pour mission de décrire les efforts physiologiques dans ces disciplines. Tous les efforts : en course, en ascension, en randonnée, en montée, en descente, en fond, en vitesse, etc. Il a ainsi inventé un autre « pyrénéisme [1]» : une pratique qui permet une quantification médicale de l’effort. Il ne cesse de rappeler la nécessaire surveillance médicale de l’entraînement, et l’observation des points essentiels : « circulation sanguine, respiration et essoufflement, digestion, nutrition, secrétions, thermogénèse et système nerveux ». Comme le rappelle Serge Vaucelle, Jean Arlaud va ouvrir une salle de culture physique, dans laquelle il exerce la physiothérapie ancêtre de la kinésithérapie. Il va « établir des fiches de suivi physiologique en cherchant à définir des marqueurs de la condition physique du sportif ». Il donne dans les années 1930, régulièrement, des conférences sur ces sujets pour le grand public. Il encourage l’esprit de compétition en montagne ce qui ouvre une double voie : géographique (le potentiel des territoires pour le sport) et physiologique (les capacités humaines).

Spirométre de la marque Vitalograph, Musée des instruments de médecine des Hôpitaux de Toulouse

Dans la décennie 1930-1940, l’IREP accueille des étudiants en médecine de plus en plus nombreux et leur dispense des formations de biologie en regard de l’exercice physique. Les premiers cours portent sur les « bases de l’anatomie, de la physiologie, l’analyse des mouvements et des techniques sportives, l’hygiène, la méthodologie appliquée à l’éducation physique et la pédagogie ». Dans le même temps dans les laboratoires de la Faculté de médecine on étudie les effets du sport, et on développe des programmes de recherches physiologiques. C’est le Professeur Camille Soula qui dirige le Laboratoire toulousain de physiologie, dont il obtient la chaire en 1935. On mesure la tension artérielle (tensiomètre), on observe son évolution (sphygmographe oscillométrique), on dose le CO2 dans le sang (appareil de Van Slyke), on fait des enregistrements graphiques de certains phénomènes liés aux flux physiologiques (kymographe de Palmer), on établit des courbes, des tables, des rapports, etc. Les enseignants de l’institut toulousain testent scientifiquement les méthodes d’entraînement pour les comparer en tenant compte de nombreux critères : « physiologie, morphologie, biotypologie, fatigue, alimentation et hygiène ».

Oscillométre sphygmométrique dans sa caisse de transport, Collection de Faculté de santé de l'Université Toulouse III - Paul Sabatier

A l’arrivée du régime de Vichy, Jean Borotra (Commissaire général à l’éducation physique et aux sports) vient rencontrer Camille Soula pour mettre en place une coopération entre l’institut et le nouvel organisme créé par Vichy (le CREGS). Officiellement l’ariégeois accepte le principe, officieusement il n’en fait rien : humaniste et franc-maçon, il est déjà engagé en résistance (ainsi qu’auprès des républicains espagnols en exil). La Faculté de médecine et l’IREP (même sans Soula « démissionné » en 1942, et remplacé par son élève et neveu Louis Bugnard) entretiendront ce type de relation avec les instances pétainistes pendant toute la période de l’Occupation : on ne contredit pas, mais on n’obéit pas. A la libération, un CREPS (centre régional d’éducation physique et sportive) est créé. Une cohabitation s’installe et l’IREP cède certaines de ses prérogatives : le CREPS prend en charge la formation des instituteurs et des moniteurs, l’IREP élargit son champ de compétence avec la rééducation et la kinésithérapie. Camille Soula (réintégré à la Libération) est appelé à Paris et mis à disposition du tout nouveau CNRS, suivi par Louis Bugnard (qui intègre l’institut qui deviendra l’INSERM), ils cèdent la place à Antoine Baïsset qui devient le troisième directeur de l’IREP en 1948, bien qu’il soit aux commandes en réalité depuis 1945.


Kymographe, Collection des Instruments anciens, Université Toulouse III - Paul Sabatier

Si le temps des mesures n’est pas révolu, l’établissement de modèles d’un « corps statistique » n’est plus la seule voie de recherche. A partir des années 1950, la traumatologie devient un nouveau champ de recherche ; on se penche notamment sur les sports dits « accidentogènes » : « le parachutisme, l’alpinisme, l’aéronautisme et même le rugby en 1963 » [2]. D’autre part une Ecole de pharmacorythmie voit le jour dans cette même décennie. Et commencent alors les études sur le dopage et les dérives du sport. A Toulouse, elles se concentrent autour d’un grand nom : le professeur Paul Montastruc. Il va être à la charnière entre deux moments, entre deux lieux, entre deux façons de faire. Il entre dans l’équipe du Laboratoire de Physiologie Appliquée qu’il dirigera à la suite d’Antoine Baïsset. Mais il va initier le passage vers la toute nouvelle discipline qu’est alors la pharmacologie ; il travaille notamment sur l’usage et les effets du médicament. Il est le directeur qui a eu à gérer (et inventer) une nouvelle gouvernance : il doit composer avec un directeur-adjoint qui n’est pas issu du corps médical. Enfin, ces années 1960 voient l’IREP quitter son île du Ramier, pour déménager progressivement vers le campus de Rangueil. Il fait peau neuve, rejoint physiquement l’université et pour l’occasion change de nom : le département de sport de l’Université devient une unité de recherche, et s’appellera désormais UEREPS, Unité d’Enseignement et de Recherche en Education Physique et Sportive.

Rédaction : Corinne Labat, Service Jardin Botanique et Collections Scientifiques, Université Toulouse III - Paul Sabatier. 

Crédit Photo :  Amélie Boyer, Service de l'Inventaire et de la Connaissance des
Patrimoines, Direction de la Culture et du Patrimoine, Région Occitanie.

Bibliographie : Vaucelle Serge, De l’IREP de Toulouse au Parc municipal des sports : histoire d’un lieu de formation universitaire, (1929-1970), Annales du Midi Tome 131, n°305-306, Privat, 2019

Serge Vaucelle : Professeur agrégé d’EPS, docteur en histoire, enseignant chercheur depuis 2007, à l’Université Toulouse III-Paul Sabatier. Ses recherches abordent les travaux scientifiques produits par le milieu médical sur le domaine du loisir, du sport et de l'entraînement sportif et incluent une comparaison des principales sociétés européennes.


[1] Mouvement qui conjugue philosophie, recherche, art, exploration, littérature, culture, aventure, sport, et science, le terme est utilisé pour caractériser tous ceux qui au XIXe partaient à la découverte des Pyrénées, et qui en ont parlé.

[2] Vaucelle Serge, Auger Fabrice, Une drôle de guerre pour un territoire pédagogique, IREP et CREPS au tournant de la IVe république, PUF Rennes.