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Manger du thon, oui, à condition de mieux gérer les stocks naturels

Publié par IRD Occitanie, le 22 septembre 2022   930

La pêche thonière de l’océan Indien repose sur trois espèces dont les populations subissent une pression croissante depuis 30 ans. Afin que cette pêche reste durable, des scientifiques dont ceux de l’UMR MARBEC - ont évalué les connaissances actuelles sur ces espèces pour identifier les points d’amélioration.

Listao, thon obèse et albacore… ces espèces de thons tropicaux représentent à elles trois 95 % des captures thonières mondiales d’où l’importance de gérer durablement cette ressource.

Distribution potentielle des trois espèces de thons tropicaux dans l’océan mondial, sur la base de critères d’habitat © IRD - Artetxe-Arrate et al., 2022

Des poissons de grande valeur marchande

Parmi les poissons consommés par les humains, les thons sont rois ! Ce ne sont pas les Japonais qui vous diront le contraire : un thon de 211 kg a été vendu 129.000 euros lors de la traditionnelle vente du Nouvel an à Tokyo… Le thon rouge de l’Atlantique (Thunnus thynnus) est le plus prisé pour les sushis mais trois autres espèces – Katsuwonus pelamis, Thunnus albacares, Th. Obesus1 – font l’essentiel du tonnage mondial. Elles finissent principalement en boîtes de conserve ou en spécialités crues devenues très à la mode. Les pêcheries de l’océan Indien reposent sur ces 3 espèces qui sont également présentes dans les océans Pacifique et Atlantique et font l’objet d’un commerce international. La pêche au thon procure nourriture, emplois et ressources économiques aux populations qui la pratiquent, il est donc essentiel que cette activité soit durable. La demande mondiale croissante pèse sur les populations naturelles de thons dont les stocks enregistrent des baisses. « Le thon rouge du Pacifique et de l’océan austral sont à 20 % de leur biomasse des années 1950, et l’albacore de l’océan Indien autour de 30 %, des niveaux qui appellent à des mesures énergiques de restauration de ces stocks, annonce Francis Marsac, halieute à MARBEC et co-auteur de la synthèse publiée dans Advances in Marine BiologyPour asseoir une meilleure gestion, nous devons approfondir les connaissances sur la biologie, l’écologie et la répartition de ces espèces ».

Etagement vertical des niches trophiques des thons adultes dans l’océan Indien © IRD - Artetxe-Arrate et al., 2022

Paramètres incontournables pour une évaluation fiable des stocks

L’évaluation de la bibliographie disponible pour les trois espèces révèle des lacunes qu’il faudra combler afin de nourrir les modèles d’évaluation des stocks avec des données fiables et aussi complètes que possible. Parmi les paramètres importants pour une modélisation efficace figurent ceux liés aux traits de vie2, c’est-à-dire des descripteurs biologiques et comportementaux. « Nous manquons de données sur la croissance, les périodes et les sites de reproduction, sur les déplacements verticaux, les relations trophiques », énumère Iraide Artetxe-Arrate, première auteure et chercheuse dans la division Pêches de l’AZTI. Par ailleurs, les études sur les traits de vie sont souvent limitées à quelques zones alors qu’elles devraient être étendues à tout l’océan Indien pour couvrir l’ensemble des interactions existant entre l’environnement et ces espèces. Tous ces paramètres sont à prendre en compte pour une appréciation juste de la vulnérabilité des trois espèces en fonction des types d’engins de pêche (palangre, senne, dispositif de concentration de poissons).

Pêche industrielle et artisanale, Seychelles © IRD - Thibaut Vergoz

Recommandations pour des pêcheries durables

Forts de cet état des lieux, les auteurs de la présente revue adressent des recommandations à la Commission thonière de l'océan Indien (CTOI). Organisation internationale ayant son siège aux Seychelles, c’est elle qui est en charge de la gestion des ressources thonières de l'océan Indien. Il serait judicieux d’améliorer les capacités des pays de la zone en matière de surveillance afin de densifier la collecte de données statistiques et biologiques sur les trois espèces cibles et aboutir à une évaluation plus juste de leur dynamique et de leur résilience vis-à-vis des impacts climatiques ou des activités humaines. Cette meilleure connaissance de l’état des populations de thons légitimerait les mesures préconisées par la CTOI, par exemple la limitation des quotas annuels de pêche. En ce qui concerne les méthodes scientifiques, les auteurs estiment que combiner différentes approches –marqueurs génétiques3, analyse des otolithes4, inventaire des parasites, marquage – aux informations de base sur les pêches procurera de meilleurs indicateurs pour une gestion durable des stocks.

Notes :
1
Listao (ou bonite), thon albacore, thon obèse
2
Durée de vie, sex ratio, maturité sexuelle, taux de mortalité naturelle, etc
3
Courts segments d’ADN aidant à discriminer des sous-populations au sein d’un stock
4
Concrétion minérale de l’oreille interne


Publication : Artetxe-Arrate I., Fraile I., Marsac F., Farley J. H., Rodriguez-Ezpeleta N., Davies C. R., Clear N. P., Grewe P., Murua H. 2021. A review of the fisheries, life history and stock structure of tropical tuna (skipjack Katsuwonus pelamis, yellowfin Thunnus albacares and bigeye Thunnus obesus) in the Indian Ocean. Advances in Marine Biology, 88, 39-89. https://doi.org/10.1016/bs.amb.2020.09.002


Contacts science : Francis Marsac, IRD, MARBEC FRANCIS.MARSAC@IRD.FR
Iraide Artetxe-Arrate, AZTI IRARTETXE@AZTI.ES

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR


Gonades femelles de thons pour études de fécondité
© IRD - Francis Marsac Gonades femelles de thons pour études de fécondité
Echantillonnage biologique de thons en laboratoire, Seychelles
© IRD - Francis Marsac Gonades femelles de thons pour études de fécondité

Source de l'article : Manger du thon, oui, à condition de mieux gérer les stocks naturels