Les tourbières : une aide précieuse pour l’objectif climatique de l’Indonésie ?
Publié par IRD Occitanie, le 9 janvier 2024 450
En mesurant puis en comparant les bilans en gaz à effet de serre de trois forêts indonésiennes et tourbeuses, des scientifiques de l’IRD à Toulouse et leurs collègues à l’international* proposent des actions pour inclure les tourbières dans la stratégie bas carbone du pays. Parallèlement, leurs travaux précisent certaines données utilisées par le Groupe International d’Experts pour le Climat (GIEC).
* Indonésie, Canada, États-Unis, Japon, Angleterre, Singapour
Selon leur mode d’exploitation, les tourbières peuvent être des alliées comme de véritables ennemies climatiques ! En Indonésie, une partie d’entre elles a été convertie pour l'agriculture ainsi que la sylviculture d’acacias. Avec quel impact ?
Eau-scillation
En Indonésie, sur une superficie totale de 7,8 millions d'hectares de tourbières convertie, plus d'un million d'hectares est consacré aux plantations d’arbres, principalement d’acacias. Afin de mieux comprendre l’impact de ces transformations, les chercheurs ont calculé sur une période de 5 ans les bilans de gaz à effet de serre (GES) d’une forêt d’acacias plantée 17 ans plus tôt, d’une forêt laissée intacte ainsi que d’une forêt dégradée à la même période et non replantée. Depuis l’Holocène, les tourbières ont stocké 75 Gt de carbone à l’échelle mondiale. Leur couvert végétal absorbe le CO2 de l’atmosphère et l’utilise pour produire de la matière organique venant s’accumuler sous forme de tourbe dans les sols. Tant que ces derniers sont gorgés d’eau, ils protègent la tourbe de l’oxygène atmosphérique et évitent ainsi sa décomposition rapide, responsable d’émissions de CO2. En ce sens, cette étude a continué de confirmer le lien étroit qu’il existe entre les émissions de CO2 des tourbières tropicales et le niveau moyen des nappes phréatiques. Dans la forêt laissée intacte, les émissions de CO2suivaient le niveau de la nappe, lui-même fluctuant au rythme des précipitations, selon les années et les saisons. Ainsi, dans le cas des forêts gardées intactes, Sofyan Kurnianto, chercheur spécialiste des tourbières tropicales à l’APRIL explique que « lorsque le niveau de la nappe phréatique annuel moyen est connu, le bilan de CO2 de la tourbière peut être prédit avec un certain degré de confiance. Cela est conforme à des travaux sur les tourbières boréales, suggérant que les niveaux de nappe phréatique sont plus importants que le climat local ou d'autres facteurs de gestion ».
Histoires d’usages
Cependant, les tourbières ne sont pas insensibles aux pratiques humaines. La forêt plantée d’acacias, dont le niveau d’eau était sous la surface de la tourbe, présentait des échanges de CO2 variant avec l’âge de la plantation plutôt qu’avec l’état de la nappe. Si elle était, au départ, émettrice de CO2 du fait des faibles taux de photosynthèse de ses jeunes arbres, la tendance s’est ensuite inversée. Après la fermeture de la canopée, les émissions liées à la décomposition oxydative de la tourbe étaient largement compensées par les taux élevés de photosynthèse et de fixation du carbone des arbres matures. La forêt dégradée s’est, quant à elle, révélée très émettrice tout le long des mesures. Elle possédait le même niveau d’eau bas que la plantation d’acacias mais sans ses arbres. Dans leur exercice de comparaison, les scientifiques ont aussi trouvé - pour la forêt d’acacias - un facteur d’émissions CO2 deux fois moins élevé que celui utilisé par le GIEC pour ce même usage du sol. « Cet écart vient essentiellement d’approches méthodologiques différentes et de la non-prise en compte des effets du drainage dans le supplément au rapport spécial du GIEC 2013 sur les écosystèmes aquatiques », partage Dominique Serça, professeur au LAERO. Une nouvelle donnée que les auteur·ices du GIEC considéreront certainement à l’écriture de leur prochain état des lieux.
Quantifier pour décider
En comparant leurs bilans, les scientifiques ont trouvé que la plantation d’acacias émettait deux fois plus de CO2 par hectare et par an que la forêt laissée intacte. Quant à la forêt dégradée, ses émissions étaient environ 20% supérieures à celles de la plantation. En utilisant les facteurs d’émissions issus de leurs mesures, les chercheurs ont calculé que l’Indonésie pourrait éviter 160 millions de tonnes équivalent CO2 émises par an en conservant les 2 millions d’hectares restants de forêts intactes et en restaurant les 4,2 millions d'hectares de forêts dégradées d'ici 2050. « Cela représente environ 40 % des émissions de GES provenant de la décomposition de la tourbe en Indonésie en 2019 », souligne Supiandi Sabiham, chercheur spécialiste des sols tropicaux à l’IPB. Bien que les scientifiques doivent utiliser ces estimations avec prudence, celles-ci montrent la place non négligeable de la conservation, de la restauration et de la gestion durable des tourbières dans l’évitement et la réduction des émissions de GES.
Publication : Deshmukh C. S., Susanto A. P., Nardi N., Nurholis N., Kurnianto S., Suardiwerianto Y., Hendrizal M., Rhinaldy A., Mahfiz R. E., Desai A. R., Page S. E., Cobb A. R., Hirano T., Guérin F., Serta D., Prairie Y. T., Agus F., Astiani D., Sabiham S., Evans C. D. 2023. Net greenhouse gas balance of fibre wood plantation on peat in Indonesia. Nature, 616, pages 740–746. https://doi.org/10.1038/s41586-023-05860-9
Contact science : Dominique Serça, LAERO DOMINIQUE.SERCA@AERO.OBS-MIP.FR
Contacts communication : Juliette Chrétien, Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/changement-...