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Les poissons-chats géants de l’Amazone menacés par les barrages

Publié par IRD Occitanie, le 23 octobre 2024   210

Les ouvrages hydroélectriques entravent la migration reproductive des poissons-chats géants du bassin de l’Amazone et menacent leur pérennité.

Géants par la taille et habitués à d’immenses migrations, les poissons-chats Goliath1 sont très perturbés par l’édification d’énormes ouvrages hydroélectriques sur le principal affluent de l’Amazone. Une vaste étude, menée par les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires brésiliens et péruviens, établit l’impact de ces obstacles sur le mode de vie de ces poissons aussi appelés silures géants, notamment sur la migration qu’ils réalisent pour se reproduire. « Une grande majorité d’entre eux nait dans les eaux turbulentes au pied des Andes, sur le haut cours de l’Amazone ou du rio Madeira, son plus long affluent. Puis les larves dérivent, portées par le courant, jusqu’à l’estuaire de l’Amazone, à 6 000 kilomètres en aval. À l’âge pré-adulte, ils remontent le courant pour aller se reproduire là où ils sont nés, parcourant de nouveau 6 000 km. Ils effectuent ainsi les plus longues migrations connues en eau douce »,  explique Fabrice Duponchelle, ichtyologue IRD, biologiste des populations, au sein de MARBEC.

Otolithes et isotopes 

Pour étudier ces déplacements, les scientifiques ont analysé la composition isotopique2 et chimique des otolithes  de ces poissons-chats. Celle-ci enregistre en effet les spécificités des milieux aquatiques dans lesquels ils ont circulé au cours de leur vie. Il est ainsi possible d’établir dans quel cours d’eau a vécu un individu, et à quel moment de sa vie. Ce faisant, les spécialistes ont montré que la majeure partie des poissons-chats Goliath de l’embouchure de l’Amazone provient soit du haut-Madeira, soit du haut-Amazone. Mais aussi qu’ils pratiquent, comme le font les saumons, un homing natal  en retournant se reproduire sur les lieux de leur naissance, les uns dans le haut-Madeira, en Bolivie ou au Pérou, et les autres dans le haut-Amazone, au Pérou, en Colombie ou en Équateur. 80 % d’entre eux sont des « homers » revenant dans leur région d’origine, 13 % sont des résidents qui ne quittent pas la zone géographique où ils sont nés, et 7 % sont des « strayers » qui remontent vers un haut cours qui ne les a pas vu naitre.

Obstacles infranchissables

Ces recherches ont également démontré que la construction de deux grands barrages hydroélectriques au Brésil, sur le moyen-cours  du Madeira3, est venue entraver les déplacements naturels de cette espèce. « Ces obstacles infranchissables empêchent totalement le retour des pré-adultes nés dans cette région vers leur zone de reproduction au-dessus des barrages, indique le spécialiste. Les rares adultes capturés aujourd’hui en amont de cet obstacle sont des individus âgés qui avaient migré avant la fin du chantier, en 2016. » La migration descendante des larves est elle aussi affectée depuis la construction des ouvrages hydroélectriques. Et il n’y a plus dans l’estuaire de l’Amazone que 16 % de poissons-chats nés dans le haut-Madeira4

« Il est fort probable qu’une bonne partie des larves qui dévalaient naguère les rapides vers l’aval se trouve maintenant piégée dans les lacs-réservoirs des barrages, se perd, est mangée par des prédateurs ou broyée par les turbines », estime Fabrice Duponchelle. 

Passes inefficaces

Les exploitants du barrage de San Antonio, le plus aval des deux ouvrages, ont mis en place une passe à poissons, sorte de canal visant à ménager une voie de contournement pour les pré-adultes. Mais le dispositif de près de deux kilomètres de long, où ont été recréées les conditions des rapides originels, n’a permis à aucun d’entre eux de franchir l’obstacle.

« Ces systèmes de contournement ne sont pas efficaces, nos données sur la microchimie des otolithes le montrent. Les jeunes adultes qui tentent de regagner les sources du Madeira sont bloqués en aval des barrages », précise Marília Hauser, ichtyologue à l’université d’État de Maringá, au Brésil. 

De fait, les opérateurs hydroélectriques n’ont pas jugé nécessaire de renouveler ce couteux investissement pour le barrage de Jirau situé en amont. Ils se contentent de pêcher les poissons présents juste sous le barrage et de les transporter en amont. 

Conservation et économie en danger

« En bloquant la migration reproductive des poissons-chats, les barrages affectent à la fois la conservation de l’espèce et l’économie des pêcheries », estime Carolina Rodrigues da Costa Doria, ichtyologue à l’université fédérale de Rondônia, au Brésil. 

« L’espèce est d’ores et déjà menacée dans le haut-Madeira parce qu’elle ne peut plus accomplir complètement son cycle avec du homing entre la tête des fleuves et l’embouchure de l’Amazone, confirme Jean-François Renno, généticien des populations IRD au sein de DIADE. Le maintien dans son aire de distribution initiale est en péril. » Conséquence de cette pression, l’exploitation économique de l’espèce est compromise au-dessus des barrages, où la population est en très net déclin. Le choc économique pourrait être violent pour les pêcheries locales. L’espèce est aussi très prisée par les pêcheurs dans l’estuaire de l’Amazone, où elle représente une manne annuelle de près de 10 millions de dollars à l’exportation. Les deux barrages du Madeira et leurs conséquences sur la reproduction de l’espèce pourraient également affecter son abondance dans cette zone avant peu. 

« Le poisson-chat Goliath pourrait n’être qu’une espèce parmi d’autres impactées par les barrages sur le bassin amazonien. Les nombreux projets hydroélectriques y mettent en péril toutes les espèces qui migrent sur de longues distance », prévient Jean-François Renno. 

Comme nombreux autres scientifiques, il enjoint les aménageurs à rétablir la connectivité entre les différents espaces aquatiques amazoniens et à la préserver efficacement lors de la construction de futures infrastructures.


  1. Brachyplatystoma rousseauxii
  2. Les isotopes du strontium notamment, les isotopes sont des variantes d
  3. Barrages de San Antonio et de Jirau, construits par un consortium mené par Engie
  4. Les scientifiques viennent d’obtenir un financement du CNPq (l’équivalent brésilien de l’Agence nationale pour la recherche) pour déterminer quelle était cette proportion avant la création des barrages.

CONTACTS :

Fabrice Duponchelle, MARBEC (IRD/Ifremer/Université de Montpellier) 
Retrouver les publications Fabrice Duponchelle

Marilia Hauser, Departamento de Biologia, Universidade Estadual de Maringá (UEM), Brasil

Jean-François Renno, DIADE (IRD/Cirad/Université de Montpellier) 
Retrouvez les publications de Jean-François Renno

Carolina Rodrigues da Costa Doria, Laboratório de Ictiologia e Pesca, Departamento de Biologia, Universidade Federal de Rondônia, Brasil