Les lichens, hybrides par nature (#1)
Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 29 février 2024 750
Ils passent quelques fois inaperçus, ils sont souvent confondus avec des mousses ou des champignons, ils restent difficiles à classer, les lichens sont pourtant, à y regarder de près, des organismes étonnants, et potentiellement riches en enseignements.
« Un genre de plante qui n’a point de fleur », un fruit qui « a la forme d’un bassin », et il contient « une poussière ou semence qui paraît être arrondie, lorsqu’on la voit au microscope ». Définition sommaire et peu détaillée de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert bien plus loquaces sur les mousses par exemple (ou même sur les algues pourtant bien moins accessibles au XVIIIe siècle). Deux siècles et demi plus tard, que sait-on de plus sur ces organismes curieux que sont les lichens ?
Ce ne sont pas des plantes : ni tiges, ni feuilles, ni racines ! Ils sont le produit de l’association d’un champignon et d’une algue et/ou d’une cyanobactérie (ex-algue bleue). C’est donc un organisme symbiotique : les deux « associés » s’apportent mutuellement, et contribuent à la formation et à la vie de ce nouvel « être » qu’est le lichen. Mais il peut y avoir d’autres associés : algue et cyanobactérie donc, ou bien un autre champignon avec l’algue, ou bien d’autres champignons avec le champignon principal, ou… une infinité d’autres combinaisons possibles. C’est donc un ménage à 2 a minima, et à plus, voire beaucoup plus, si affinités.
Le « corps » du lichen s’appelle le thalle : c’est un appareil végétatif sans vaisseaux conducteurs. Le champignon qui a besoin de matière organique préexistante pour se nourrir (il est hétérotrophe) apporte l’eau, les sels minéraux et certaines vitamines. L’algue grâce à la photosynthèse apporte les composés organiques sucrés qu’elles fabriquent, et de la vitamine B. Quand elles sont présentes les cyanobactéries fournissent aussi du glucose, et comme elles peuvent fixer l’azote de l’atmosphère, elles le transfèrent au champignon sous la forme d’ammonium. Le champignon lui, avec sa biomasse plus importante, protège l’algue des rayons lumineux trop forts, des pertes hydriques trop brutales et de certaines prédations animales. Échanges, apports, mise en commun : le lichen est pratiquement un écosystème.
Mais l’association ne se limite pas à assurer l’auto-suffisance du lichen, elle permet aussi au champignon de produire des centaines de substances que l’on appelle acides lichéniques. Et ces acides donnent aux lichens diverses propriétés : maintenir l’équilibre hydrique (rapport entre absorption et élimination des liquides), se protéger de lumières trop fortes ou encore résister aux variations de température. Entre autres ! Le lichen est donc un petit laboratoire de chimie qui se fabrique des super-pouvoirs. Et il a en plus la capacité dite de reviviscence : il peut revenir à la vie quand on le croit totalement desséché. Après une longue période de sécheresse (de vie latente), l’humectation permet, pour certaines espèces, une reprise de la « respiration » dans la seconde, et de la photosynthèse dans la minute.
Les lichens dominent 8-10 % des écosystèmes terrestres, on les trouve sur tous les supports (sauf dans les fonds marins et sur les animaux), ils sont très nombreux, très divers, et encore peu ou mal connus. Ils sont apparus il y a environ entre 400 et 600 millions d’années, donc bien avant les dinosaures (230 Ma) ou les plantes à fleurs (120 Ma), souvent qualifiés de pionniers, ils méritent bien ce titre. Aujourd’hui, l’Association française de lichénologie donne une définition générique de ces organismes que l’on « range » dans les champignons lichénisés : « Un lichen est l’association d’un champignon et d’un symbiote doué de photosynthèse qui résulte en un organisme végétatif stable ayant une structure spécifique ». Quels que soient ses « parents » le lichen n’est en réalité, ni une plante, ni un champignon, ni un animal : il est autre. Et ce n’est pas la plus étonnante de ses caractéristiques…
Le Service des Collections de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier a entrepris un chantier d’envergure : le projet NIEHL, pour la Numérisation, l’Informatisation et l’Etude des Herbiers de Lichens. Ce travail a été retenu dans le cadre de l’Appel à Projets du Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation en 2022, et réalisé en 2023. Les herbiers toulousains (ainsi que des planches d’Herbiers des collections de Rennes et de Strasbourg) numérisés et informatisés, permettent désormais de constituer une base de données représentative de la biodiversité lichénique en France (et même au-delà) il y a un peu plus d’un siècle.
- Région Occitanie : Herbier Saltel (Aveyron, Cantal, Haute-Garonne), 1870-1903 soit 135 parts
- Région Nouvelle Aquitaine : Herbier Chaubard (Lot-et-Garonne) début XIXe soit 247 parts, et Planches significatives de l’Herbier Lichens Sudre (Lot-et-Garonne), début XXe.
- Région Bourgogne : Herbier Fautrey (Côte d’Or), 1890-1910 soit 275 parts
- Région Grand Est : Lichens de l’Herbier Mougeot et Nestler (Vosges, Rhin), 1811-1843 soit 100 parts
- Région Bretagne : Types de l’Herbier Des Abbayes (Côtes d’Armor), milieu XXe soit 90 parts,
- Herbier Rouane Bretagne (Finistère) XXe siècle, soit 39 parts
- Région Normandie : l’Orne avec les données déjà numérisées de l’Herbier Olivier collecté en 1880 soit 295 parts.
Et en plus quelques planches d’ailleurs :
- S-E des Etats Unis : Herbier Paul Otto Schallert (exsiccata de l’herbier de l’université du Dakota), 1960-1962, 31 parts.
- Mexique : Herbier « Rouane », 1965, 38 parts.
La numérisation s’accompagne d’une révision, et elle est aussi l’occasion de mettre en lumière des collections rarement montrées et pourtant précieuses historiquement, scientifiquement, et culturellement. L’occasion de faire le point en 5 épisodes.
Rédaction : Corinne Labat
Conseillers Scientifiques :
Nathalie Séjalon-Delmas, enseignante chercheure (Université Toulouse III - Paul Sabatier)
Xavier Bossier, technicien de recherche (Fédération de recherche FRAIB)