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Les forêts tropicales insulaires championnes de la résilience aux cyclones

Publié par IRD Occitanie, le 8 avril 2025   91

Régulièrement dévastées par les tempêtes tropicales, les forêts insulaires du Pacifique sud ont développé une capacité à se rétablir très vite.

Défoliation, déracinement massif, ruptures de tronc, mortalité élevée… Les arbres des forêts tropicales insulaires sont mis à rude épreuve par les fréquents passages de cyclones. Malgré ces dégâts importants, ils parviennent à récupérer rapidement : ainsi, trois ans après le violent cyclone Pam la couverture de la canopée de la forêt vanuataise s’était rétablie, tandis que la régénération comptait une large gamme d’espèces au rôle fonctionnel varié. De même, aux Samoa, les communautés d’arbres ont retrouvé une composition de traits fonctionnels similaires 15 ans après deux cyclones successifs ayant causé d’importants dégâts aux forêts.

Portrait

Dans le contexte de réchauffement des océans, qui pourrait renforcer l’intensité de tels événement, nous travaillons à en comprendre les effets sur les forêts, et à évaluer leur capacité de régénération », indique Thomas Ibanez, écologue IRD au sein d’AMAP.

Les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires de Fidji et du Vanuatu ont étudié les données relatives aux dégâts causés par 11 cyclones sur 74 parcelles forestières tropicales, portant sur plus de 22 000 arbres et 800 espèces. 

Vue sur une forêt littorale.

La topographie des lieux, et notamment l'exposition aux vents, peut être un facteur de vulnérabilité ou de résistance des arbres aux cyclones.

© IRD - Jean-Michel Boré

La taille compte

Leurs recherches montrent que les dommages causés aux forêts par les cyclones dépendent tout à la fois de la vitesse du vent, de la topographie locale, de la taille des arbres et de la densité de leur bois. La probabilité de rupture ou de déracinement au niveau de l'arbre, et donc la proportion d'arbres endommagés à l’échelle de la forêt, augmente avec la vitesse maximale du vent et avec l’exposition de la parcelle. À l’inverse, la densité plus élevée du bois réduit la probabilité de rupture et, dans une moindre mesure, celle de déracinement. Enfin, la taille compte : les plus gros arbres résistent mieux à la rupture, mais moins bien au déracinement. « Ces résultats permettent de mieux comprendre comment les cyclones affectent les forêts et d’améliorer les prédictions sur les impacts futurs, alors que les vents puissants deviennent plus fréquents », indique le spécialiste.
Au-delà des destructions, les recherches suggèrent que les forêts régulièrement exposées aux cyclones ont développé une certaine résilience. Ainsi, les espèces des communautés forestières des Samoa et du Vanuatu semblent avoir évolué en adoptant des stratégies spécifiques pour résister aux vents violents récurrents.

Des bourgeons sous l’écorce

Les arbres de ces îles ont ainsi adapté leur architecture pour résister aux dégâts infligés par les événements climatiques extrêmes : ils se développent plus en largeur, moins en hauteur, avec des bois plus denses. Cela leur confère une bonne résistance au passage des cyclones : leur tronc ne rompt pas et ils ne se déracinent pas tant face aux éléments déchainés. Et si les habitants n’interviennent pas après les cyclones, pour déforester ou mettre les forêts en pâture, les arbres parviennent à reconstituer la canopée en un an, notamment grâces à des bourgeons sous l’écorce, prêts à pousser pour remplacer les branches tombées.
Mais cette belle mécanique pourrait être menacée. C’est notamment le cas lorsqu'une seconde perturbation grave, comme un incendie, survient avant que la forêt n’ait eu le temps de se rétablir de la première. Ce qui vient d’ailleurs exactement de se produire à Mayotte après le passage du cyclone Chido. L’action humaine peut aussi profondément entraver les processus naturels de résilience. 

Portrait

Une des plus importantes sources de déforestation au Vanuatu est la conversion de forêts en champs après qu’elles aient été endommagées par des cyclones », explique ainsi Presley Dovo du département des forêts de Vanuatu. 

Forêt de palmiers ayant subi les dégâts causés par un cyclone

Défoliation, déracinement massif, ruptures de tronc, le passage d'un cyclone peut provoquer de sévère dégâts dans la forêt.

© IRD - François Sodter

Bouleversement climatique

Le réchauffement de la masse océanique vient également rebattre les cartes : il accroit la force des cyclones et étend leur aire vers des latitudes plus élevées. Ce faisant, les régions tropicales connaissent des cyclones plus puissants qui pourraient déjouer la stratégie de résilience des forêts insulaires. Ils pourraient ainsi causer des dégâts supplémentaires, prolongeant le temps de récupération des forêts et les rendant plus vulnérables aux perturbations suivantes.
 

« Quant aux forêts tempérées, qui commencent à se trouver exposées à ce danger nouveau, elles ne sont tout simplement pas préparées pour résister à l’irruption des cyclones », conclut Thomas Ibanez.


par Olivier Blot, IRD le Mag'

Source : https://lemag.ird.fr/fr/les-fo...

CONTACTS

Thomas Ibanez AMAP (IRD/CNRS/Inrae/Cirad/Université de Montpellier)

Presley Dovo Département des forêts, Vanuatu

PUBLICATIONS

Thomas Ibanez, David Bauman, Shin-ichiro Aiba, Thomas Arsouze, Peter J. Bellingham, Chris Birkinshaw, Philippe Birnbaum, Timothy J. Curran, Saara J. DeWalt, John Dwyer, Thierry Fourcaud, Janet Franklin, Takashi S. Kohyama, Christophe Menkes, Dan J. Metcalfe, Helen Murphy, Robert Muscarella, Gregory M. Plunkett, Chanel Sam, Edmund Tanner, Benton N. Taylor, Jill Thompson, Tamara Ticktin, Marika V. Tuiwawa, Maria Uriarte, Edward L. Webb, Jess K. Zimmerman, Gunnar Keppel. Damage to tropical forests caused by cyclones is driven by wind speed but mediated by topographical exposure and tree characteristics, Global Change Biology, 15 Mai 2024
DOI :10.1111/gcb.17317

Baptiste Delaporte, Thomas Arsouze, Gunnar Keppel, Swen Jullien, Christophe Menkes & Thomas Ibanez. StormR: An R package to quantify and map the tropical storms and cyclones’ winds characteristics, The Journal of Open Source Software, 11 janvier 2024
DOI: 10.21105/joss.05766

Tamara Ticktin, Ashley McGuigan, Frazer Alo, Michael J. Balick, Andre Boraks, Chanel Sam, Thomas Doro, Presley Dovo, Thomas Ibanez, Alivereti Naikatini, Tom A. Ranker, Marika V. Tuiwawa, Jean-Pascal Wahe & Gregory M. Plunkett. High resilience of Pacific Island forests to a category- 5 cyclone, Science of The Total Environment, 20 avril 2024
DOI :10.1016/j.scitotenv.2024.170973

Gunnar Keppel, Thomas Ibanez, Edward L. Webb. Changes in Community Composition and Functional Traits After Cyclones and Fire in a Pacific Rainforest, Pacific Science, 2024
DOI :10.2984/77.2.6