Les espèces pélagiques profondes : méconnues mais essentielles
Publié par IRD Occitanie, le 19 novembre 2024
Une synthèse mondiale de tous les poissons pélagiques profonds connus met en lumière leur grande diversité et leur importance pour la vie sur Terre.
Les fonds océaniques abritent la plus grande biomasse de Vertébrés sur Terre, une richesse pourtant largement méconnue, même des scientifiques. Or, ces espèces pélagiques profondes - puisqu'il s'agit d'elle - jouent un rôle essentiel dans l'équilibre des écosystèmes à l’échelle globale et dans la régulation du climat. C'est le constat d'une équipe d’écologues marins de l'IRD et de leurs partenaires, après avoir réalisé une synthèse exhaustive des données recueillies lors de campagnes écosystémiques menées dans les océans du monde entier.
La richesse cachée des océans profonds
Faute d’informations suffisantes, les profondeurs des océans
sont souvent perçues comme un vaste ensemble homogène, peuplé d'espèces
redondantes et interchangeables, que l’on pourrait exploiter sans
conséquences majeures. Pour réfuter cette croyance erronée, de
nombreuses campagnes ont été menées ces dernières années dans les mers
et océans du globe, notamment par le laboratoire mixte international
(LMI) TAPIOCA
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, au large du Brésil.
« Les différentes zones pélagiques océaniques ont été analysées en détail par diverses disciplines, allant de la physique à l’écologie, en passant par la biogéochimie. Nous avons étudié l’ensemble de la biodiversité de ces environnements, des bactéries aux prédateurs supérieurs, produisant ainsi un jeu de données unique », explique Arnaud Bertrand, écologue marin IRD au sein de MARBEC.
Une matière précieuse à partir de laquelle Leandro Nole Eduardo, également écologue marin à MARBEC, a mené une recherche minutieuse sur plus de 200 espèces, étudiant leurs morphologies, comportements, régimes alimentaires, habitats et migrations, diurnes comme nocturnes. Le chercheur a ainsi mis en lumière la diversité incroyable et insoupçonnée des espèces pélagiques profondes, bien plus variées encore que celles vivant à la surface.
Alimentation, défécation et stockage du carbone
L’une des grandes découvertes de Leandro Nole Eduardo concerne l’alimentation de ces organismes : « Nous pensions jusque-là que les espèces pélagiques profondes étaient opportunistes et mangeaient indifféremment le peu de nourriture disponible en raison de l’absence de photosynthèse à ces profondeurs. Or, nous avons découvert qu’au contraire, elles sont très spécialisées dans leur manière de s'alimenter, afin de limiter la compétition. »
Cela se traduit par une variété de comportements. Ainsi, les poissons pélagiques ont-ils recours à la bioluminescence soit pour éclairer leur environnement et chasser leurs proies, soit pour les attirer. De même, ils pratiquent différents degrés de migrations verticales : certaines espèces traversent presque toutes les zones pélagiques pour échapper à la prédation et se nourrir, là où d'autres effectuent de petites migrations, et d'autres encore restent dans les profondeurs des océans.
Grâce à cette diversité, les espèces pélagiques profondes contribuent de différentes manières aux flux et stockage du carbone à l’échelle globale : leurs migrations leur permettent en effet de capturer le carbone à la surface, pour l’emporter ensuite dans les profondeurs et le libérer par la respiration, la défécation ou lorsqu'ils sont mangés. Ce dernier processus favorise le transfert d'une quantité significative de carbone entre les organismes.
« La quantité de carbone transportée dépend notamment du type de nourriture : une espèce qui se nourrit de petits crustacés ne transportera pas autant de carbone qu’un poisson prédateur », précise Leandro Nole Eduardo.
Ces premières observations doivent désormais être approfondies avec des études complémentaires pour évaluer l’impact réel des écosystèmes pélagiques profonds dans la régulation du climat.
Des socio-écosystèmes complexes à préserver
Ces écosystèmes encore mal connus pâtissent grandement du dérèglement climatique. « Nous estimons une perte de 20 % de la biomasse des organismes pélagiques profonds d’ici 2100 », alerte Arnaud Bertrand. Et cela ne sera pas sans conséquence, les océans profonds étant des socio-écosystèmes essentiels, tant pour les populations humaines que pour la vie sur Terre. Outre les effets délétères encore non identifiés, leur dégradation entraînerait d’importantes répercussions sur le dérèglement climatique, qui ne sont pas encore prises en compte dans les modèles du GIEC.
Pour éviter le pire, il est essentiel de préserver ces espaces qui, bien que lointains, sont vitaux.
- CONTACTS
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Leandro Nole Eduardo, MARBEC (IRD/CNRS/Ifremer/Université de Montpellier/Inrae)
Retrouvez toutes les publications de Leandro Nole Eduardo
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Arnaud Bertrand, MARBEC (IRD/CNRS/Ifremer/Université de Montpellier/Inrae)
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Source : https://lemag.ird.fr/fr/les-es...