La prolifération des sargasses enfin expliquée
Publié par IRD Occitanie, le 20 mars 2025 110
La modélisation confirme le rôle d’un événement intense de l’oscillation nord-atlantique survenu en 2010 dans la prolifération actuelle des sargasses.
Depuis 2011, les côtes des Antilles et
d’Afrique de l’Ouest vivent un véritable cauchemar : chaque année, des
algues brunes viennent s’échouer et se décomposer en énormes quantités
sur les plages. L’accumulation de ces sargasses a un fort impact
sanitaire et économique dans les écosystèmes côtiers : les habitants sont
incommodés pendant des mois et le tourisme et la pêche sont en
difficulté.
Les scientifiques s’emploient à comprendre les
mécanismes de la soudaine prolifération massive de ces algues pélagiques
hors de leur aire habituelle, qui s’étend de la mer des Sargasses jusqu’au Golfe du Mexique. Pour tester les deux principales hypothèses expliquant la récurrence des proliférations de Sargassum depuis
2011 et leur variabilité d'une année sur l'autre, les scientifiques de
l’IRD et leurs partenaires ont utilisé la modélisation numérique.

Il s’agit de déterminer si le phénomène est lié à une augmentation de l’apport en nutriments dans l’océan Atlantique - d’origine continentale ou atmosphérique - qui doperait la production des algues ou bien s’il tient au transport sur de longues distances et à la dispersion d’une population initiale de sargasses lors de l’épisode de l'oscillation Nord-Atlantique (NAO) de 2009-2010, d’une ampleur exceptionnelle », explique Julien Jouanno, océanographe physicien à l’IRD au sein de l’unité LEGOS.

Dopées par des conditions favorables dans l'océan tropical, les sargasses connaissent désormais une croissance inédite.
© IRD - Sandrine Ruitton
Milieu historique oligotrophe
Le Sargassum pélagique est une algue brune flottante qui se développe en pleine mer, contrairement aux espèces fixées au fond marin. Elle forme de vastes radeaux à la surface de l'eau. À l'origine, elle prospérait dans la mer des Sargasses, un environnement oligotrophe particulièrement pauvre en éléments minéraux nutritifs essentiels à la croissance des organismes photosynthétiques aérobies. Elle est donc très opportuniste, ayant développé la capacité de stocker les nutriments dans ses tissus et de fixer l'azote de l'air pour s’adapter à ces conditions rigoureuses. Sa croissance, sensible à la température, est optimale entre 26 et 29 °C. Celle-ci était donc limitée dans la mer des Sargasses en raison des saisons froides. Mais en rencontrant des conditions plus favorables, la dynamique de cet organisme opportuniste a radicalement changé !

Les sargasses s'échouent en masse et se décomposent sur les plages des côtes des Antilles et d'Afrique de l'Ouest.
© Wikimedia - Jeff Hirsch
Anomalie de courant
Pour
lever le mystère de la soudaine prolifération des sargasses, les
scientifiques ont développé un modèle numérique qui représente à la fois
leur transport et leur physiologie. Et la simulation des courants dans
l’Atlantique de 2002 à 2022 confirme bien le rôle de l’exceptionnelle
oscillation nord-atlantique de 2009-2010 : elle est à l’origine d’une
anomalie de courant qui a transporté des sargasses hors de la mer des
Sargasses vers les régions tropicales où elles prolifèrent depuis. C’est
donc la seconde hypothèse qui est validée.
« La simulation
numérique, qui s’appuie sur les connaissances actuelles que l’on a de la
croissance des sargasses, montre qu’elles rencontrent des conditions
naturellement plus favorables à leur développement dans leur nouvelle
zone de prolifération que dans la mer des Sargasses », précise
Julien Jouanno. Parmi ces conditions, l’ensoleillement des tropiques, la
température de l’eau propice à leur croissance toute l’année et la
disponibilité de nutriments participent à leur incroyable luxuriance !
Leur organisme opportuniste tire le plus grand parti de cette soudaine
prodigalité des éléments.
D’un bord à l’autre de l’Atlantique tropical
Depuis
les régions où elles ont été transportées par l’anomalie de 2009-2010,
les sargasses ont intégré le système de courant nord équatorial, qui les
déplace maintenant au gré des saisons d’un bord à l’autre de
l’Atlantique tropical. C’est ainsi qu’elles se retrouvent épisodiquement
en masse sur les côtes est et ouest de l’océan tropical.

Si nos expériences numériques démontrent le lien entre le bouleversement de la dynamique des sargasses de 2011 et la phase négative de la NAO en 2009-2012, il reste à comprendre pourquoi cela ne s'est pas produit auparavant », estime Julio Sheinbaum, océanographe physicien au Centre de recherche scientifique et d'enseignement supérieur d'Ensenada, au Mexique.
L’implication du changement climatique
dans ce phénomène pose question : l’épisode de l’oscillation
nord-atlantique de 2009-2010, responsable de l’anomalie de courant qui a
dispersé les sargasses hors de leur aire naturelle, est d’une ampleur
vraiment exceptionnelle. Du jamais vu en un siècle d’enregistrement de
ces données.
« Pour l’instant, le lien avec le changement
climatique ne peut être confirmé avec certitude, car c’est un problème
complexe, mais tous les spécialistes s’interrogent », conclut Julien Jouanno.
par Olivier Blot, IRD le Mag'
Source : https://lemag.ird.fr/fr/la-pro...
CONTACTS
Julien Jouanno LEGOS (IRD/CNRS/CNES/Université Toulouse 3 Paul-Sabatier)
Julio Sheinbaum Centro de Investigación Científica y de Educación Superior de Ensenada, Mexique
PUBLICATION
Un événement extrême de l’Oscillation Nord-Atlantique a provoqué le basculement du Sargassum pélagique
Julien Jouanno, Sarah Berthet, Frank Muller-Karger, Olivier Aumont & Julio Sheinbaum, An extreme North Atlantic Oscillation event drove the pelagic Sargassum tipping point, Communications Earth & Environment, 8 février 2025
DOI 10.1038/s43247-025-02074-x