Histoire de Flore #5 : Le côté obscur de la grenade
Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 26 juin 2019 13k
Le soleil illumine notre été pour le plus grand bonheur des grenadiers dont les fruits maturent sur leurs branches. Entre septembre et octobre, il sera possible de déguster des grenades et de savourer ces grains que Paul Valéry compare à des gemmes rouges. Ce fruit est connu des Hommes depuis la nuit des temps si bien qu'on en trouve des mentions dans la Bible par exemple.
Dans la mythologie gréco-romaine, le fruit possède une symbolique particulière que l'on retrouve lors des mystères d'Eleusis. Lors de ces célébrations pour la déesse Déméter, les participants portaient des couronnes de branches de grenadiers, mais il leur était interdit d'en consommer le fruit. La grenade a un rôle important dans l'histoire de Déméter, déesse de l'agriculture.
La déesse avait eu une fille d'une union avec Zeus, maître de l'Olympe. Perséphone était d'une grande beauté et un jour le dieu des Enfers, Hadès l'aperçut et décida d'en faire sa reine. Un jour qu'elle cueillait des fleurs avec ses amies, elle se retrouva sans s'en rendre compte éloignée du groupe. Soudain, la terre s'ouvrit avec fracas et Hadès apparut sur son char. Il enleva la jeune femme qui se débattit et retourna dans son royaume des morts sans laisser de trace de son passage.
Très vite, Déméter se rendit compte de l'absence de sa fille. Abandonnant toutes ses missions divines, elle parcourut la Terre à sa recherche pendant 9 jours et 9 nuits. Les cultures ne poussant plus, une famine s’abattit chez les Hommes. Finalement Hélios, le dieu soleil qui voit tout, lui avoua que sa fille n'était plus sur la surface de la Terre mais dans ses entrailles, dans le royaume des Enfers. Hadès refusa alors de rendre sa fille à Déméter, qui quitta l'Olympe et cessa toute mission divine, les terres ne permirent plus de cultures.
Zeus, face à ce conflit qui affectait les Hommes et risquait leurs vies, se résolut à intervenir, pour préserver l'équilibre du monde. Il envoya donc Hermès, le messager des dieux, annoncer à Hadès qu'il devait libérer sa captive. A contre cœur il accepta, à une condition : que sa jeune épouse n'ait rien mangé ou bu lors de son séjour forcé aux Enfers. Or, consciemment ou non, Perséphone avait avalé un pépin de grenade. Les versions divergent comme souvent dans la mythologie, mais le fait est là, toute personne qui a ingéré de la nourriture des morts appartient aux Enfers.
Zeus, ne pouvant laisser Déméter dans la détresse de la perte de sa fille, trouva un compromis. La jeune femme passera une partie de l'année sur Terre avec sa mère et puis rentrera aux Enfers avec son époux.
Généralement il est admis que Perséphone passe deux tiers de l'année avec sa mère à la surface et le reste du temps sous la Terre, auprès de son époux Hadès.
Ici, le fruit symbolise le mariage. En acceptant (ou en ingérant) de la grenade, elle scelle son union avec Hadès. Dans le même temps, c'est aussi le symbole de la " faute " et du monde souterrain.
On comprend donc qu'en souvenir de cet événement, les célébrations dédiées à Déméter interdisaient la consommation de la grenade, symbole de la perte de sa fille adorée.
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Texte : Marie Nonclercq
Photos : © SCECCP, Université Toulouse III-Paul Sabatier
Tableau 1 : Rapt de Perséphone, Simone Pignoni, Huile sur toile, vers 1650, Musée des Beaux Arts de Nancy
Tableau 2 : Le destin de Proserpine, Walter Crane, 1877, collection privée
Tableau 3: Proserpine, Dante Gabriel Rossetti, 1874, Tate Britain, Londres
Bibliographie choisie :
Jacques Brosse, La mythologie des arbres, Editions Payot &Rivages, Paris, 1993
Laure de Chantal, Le jardin des dieux, Flammarion, Paris, 2015