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Gestion des ressources thonières : peut mieux faire !

Publié par IRD Occitanie, le 9 décembre 2022   620


Les instances régionales ou internationales régissant la pêche au thon tentent de gérer plus durablement la ressource en faisant appel à des modèles. En prenant comme exemple les senneurs de l’océan Indien, une équipe de MARBEC démontre - chiffres à l’appui -  que ces modèles sont loin d’être parfaits faute de prendre en compte tous les aspects, comme les prises accessoires des pêches industrielles.

Personne n’a dit que rendre durables les activités de pêche était simple à faire. L’approche se doit d’être la plus intégrative possible pour prendre en compte toutes les dimensions.

Nombre de coups de pêche sur DCP réalisées par la flottille française de senneurs dans l’océan Indien, avant et après l'introduction de la mesure de gestion pour la reconstruction du stock du thon albacore. © Tolotti et al., 2022

Les pêcheries sont des systèmes complexes

Une pêcherie est au centre de multiples relations imbriquées qui ressortent des domaines économique, écologique et sociologique. Difficile de gérer les inévitables compromis entre les humains et la nature. Les efforts de modélisation apportent une aide appréciable dans les prises de décision (protéger telle espèce en imposant des quotas de pêche par exemple). Consciente des dangers de la surpêche, la Commission thonière de l’océan Indien a adopté en 2017 un plan pour reconstruire les stocks de thon albacore, deuxième espèce de thonidé la plus pêchée. « Même si les organisations de gestion des pêcheries thonières régionales ont intégré une approche écosystémique, les décisions prises restent basées uniquement sur les stocks de populations de la principale espèce cible », déplorent Mariana Tolotti et Manuela Capello, chercheuses en écologie halieutique, co-auteures de la publication dans Environment Development and Sustainability. De fait, si l’on en croit les données analysées par les scientifiques concernant la flotte française de senneurs1 ainsi que de celles d’Espagne, des Seychelles et de l’île Maurice, les effets de ce plan sont plutôt contre-productifs. L’effort de pêche industrielle s’est intensifié et les pêcheries ont multiplié les prises sous DCP2, ces plateformes flottantes destinées à encourager le regroupement des poissons pour maximiser les captures. Non seulement le nombre de senneurs n’a pas diminué mais de plus, en réaction aux quotas, la flotte française a élargi sa zone de pêche !

Requin soyeux dans les filets © Fadio/IRD-Ifremer

Thons et requins dans le même filet

A cette pression accrue exercée sur les populations de thons s’ajoute le problème de ce que les professionnels appellent les « prises accessoires ». Lors de la relève des filets, un nombre plus ou moins important d’espèces marines non ciblées se retrouvent piégées (tortues, dauphins, requins, oiseaux, etc). « Les requins soyeux représentent 90 % des élasmobranches3 pêchés en même temps que les thons sous DCP », annonce Mariana Tolotti, premier auteur. Depuis le plan de 2017, rien que pour la flotte française, les prises de requins ont progressé de 35%. » Dans la zone de pêche au thon albacore, le requin soyeux fréquente les mêmes DCP que l’espèce cible. Or cette espèce de requin est désormais classée « vulnérable » par l’Union internationale pour la conservation de la nature. De plus, ils font aussi l’objet de captures pour eux-mêmes : ailerons, viande, peau, huile de foie et mâchoires sont prélevés. A ce titre, ils constituent une composante majeure de la pêche commerciale et artisanale de requins dans de nombreux pays. Il reste que réduire les prises accessoires sans affecter également l'économie de la pêche relève du défi.

Pêche industrielle, Seychelles © IRD - Thibaut Vergoz

Quels leviers pour faire changer les pratiques ?

Pour instaurer une gestion des ressources marines vraiment intégrative, il faut donc prendre en compte tous les aspects. Les prises accessoires engendrent des pertes écologiques et économiques. En ce qui concerne le requin soyeux, les auteurs de la publication rapportent diverses évaluations de la valeur économique des requins : pour 2010, les produits issus de requins toutes espèces confondues représentaient mille millions d’euros. Mais la valeur non alimentaire de ces squales n’est pas négligeable. Dans certains points du globe – Bahamas, Fiji, Australie – le tourisme est clairement lié aux requins, qu’il s’agisse de pêche dite récréative ou de plongée protégée pour voir évoluer ces animaux. L’éco-tourisme est infiniment plus rentable que des ailerons même vendus à plus de 200 euros le kilo sur les marchés et la valeur d’un requin vivant croisé par les plongeurs tout au long de sa vie de fait très supérieure à celle d’un requin pêché. Cette réalité économique est un argument de poids mais ne sera pas suffisante pour faire évoluer les pratiques. « Parmi les leviers à utiliser pour convaincre les grosses pêcheries de minimiser leurs impacts, il faut sans doute mixer les taxes, les amendes, les écolabels pour favoriser la pêche durable et des compensations », avance la chercheuse. Les organisations thonières ont déjà créé des groupes de travail dédiés au problème des prises accessoires et réalisé des fiches d’indicateurs environnementaux. Un premier pas vers un changement des pratiques.

Notes :
1
Bateaux conçus pour la pêche à la senne, filet utilisé pour les poissons de grande taille
2
Dispositif de concentration de poissons
3
Raies et requins
 


Publication : Tolotti M., Guillotreau P., Forget F., Capello M., Dagorn L. 2022. Unintended effects of single-species fisheries management. Environment Development and Sustainabilityhttps://doi.org/10.1007/s10668-022-02432-1

Aller plus loin : Manger du thon, oui, à condition de mieux gérer les stocks naturels


Contacts science : Mariana Tolotti, IRD MARBEC MARIANA.TRAVASSOS@IRD.FR 

Manuela Capello, IRD, MARBEC MANUELA.CAPELLO@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR


Source de l'article : Gestion des ressources thonières : peut mieux faire !