Feu, sol et eau : liaisons dangereuses
Publié par IRD Occitanie, le 20 septembre 2023 620
Une étude pilote menée en Nouvelle-Calédonie montre que les feux de forêt sur des sols naturellement riches en chrome peuvent causer une pollution des eaux douces. Parmi les auteurs des travaux publiés dans Applied Geochemistry figurent des chercheurs de l’IMPMC, du LSTM et de l’Université de Nouvelle-Calédonie.
Un incendie suivi d’une pluie, quoi de plus banal ? Sur des Ferralsols cela peut avoir des conséquences néfastes pour les cours d’eau. On vous explique pourquoi.
Sous les feux de forêt, les sols chauffent
Saviez-vous que la température des incendies peut atteindre 800 °C avec même des pics locaux supérieurs à 1 400 °C ? De ce fait, la chaleur se propage jusqu'à plusieurs dizaines de centimètres dans le sol où elle détruit la matière organique et transforme les composants minéraux. Chaque année, des zones boréales à l'équateur, environ 650 millions d'hectares de forêts, savanes, broussailles et prairies partent en fumée. Dans le contexte du réchauffement climatique, on constate que les feux de forêt augmentent à la fois en fréquence et en intensité. En Nouvelle-Calédonie, archipel métropolitain du Pacifique sud, le portail des administrations calédoniennes affiche que « Les incendies de forêt ou feux de brousse constituent le principal facteur de destruction des milieux naturels ». Des géochimistes et des écologistes se sont intéressés aux conséquences de ces incendies sur les minéraux des sols, en particulier les oxydes de fer connus pour être les principaux hôtes de métaux « traces » dans les Ferralsols. Leur transformation ou destruction thermique favorise donc la libération de ces métaux traces dans la solution du sol puis, à la faveur d’une pluie, leur dispersion vers l'eau douce. « Parmi ceux-ci, le chrome est particulièrement préoccupant pour l'environnement et la santé, rappelle Philippe Jourand, chercheur au LSTM à l’époque de l’étude. Nous avons donc réalisé une première évaluation du risque de pollution des eaux douces après des feux de forêt en Nouvelle-Calédonie. »
Les incendies mobilisent le chrome des Ferrasols
Les scientifiques ont quantifié l'influence de l'échauffement du sol sur la mobilité du chrome VI dans des Ferralsols riches en chrome qui couvrent environ 1/3 de l’île principale de ce territoire français d'outre-mer. Induite par la température, l’oxydation de la forme moins mobile et toxique - le chrome III ou Cr(III) - en la forme la plus mobile et la plus toxique - le chrome VI ou Cr(VI) - est inquiétante. « Nous avons prélevé des Ferralsols représentatifs de sols riches en chrome développés sur des roches ultramafiques, indique Farid Juillot, chercheur à l’Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie, coordonnateur de l’étude et co-encadrant de la thèse de Gaël Thery, premier auteur de la publication. Ces échantillons de quatre zones différentes de Grande Terre (Province Nord) ont été chauffés à 200, 400 et 600 °C puis leur composition minéralogique a été analysée et la mobilité du chrome évaluée. » Effectivement, les résultats confirment cette mobilité accrue : environ 80% du chrome mobile après le chauffage des échantillons de sol se présente sous forme de Cr(VI). Selon la provenance des sols utilisés dans l’étude et la température atteinte, la quantité de chrome mobile est multipliée par 50, 100 ou 1400.
Un risque de pollution des eaux douces à surveiller
Ces travaux - financés par le CNRT - suggèrent également que les Ferralsols brûlés pourraient libérer des quantités importantes de particules riches en Cr(IV) lorsqu’ils seront lessivés par la première pluie suivant un incendie. Celles-ci pourraient être transportées vers les systèmes d'eau douce ou souterraine qu’elles contamineraient en chrome toxique. « En fonction de la quantité de particules ainsi mobilisées, la concentration de chrome dans l’eau dépasserait les chiffres recommandés par l’OMS pour la qualité des eaux potables, ce qui représente un risque sanitaire et/ou écologique », rapporte Farid Juillot. Étant donné que les eaux douces représentent la principale ressource en eau pour les habitants de la Nouvelle-Calédonie, ces résultats soulignent la nécessité d'une évaluation plus large du risque de pollution des eaux douces par le Cr(VI) induite par les incendies de forêt. En effet, la Nouvelle-Calédonie est couverte de bassins versants composés de sols autres que les Ferralsols mais également riches en chrome (Cambisols, Vertisols). Au-delà de la Nouvelle-Calédonie, ce risque concerne le Brésil, l’Australie et l’Afrique Centrale où les Ferralsols sont très présents. Ces territoires étant de plus en plus exposés aux grands feux de forêt, les conséquences potentielles de cette perturbation environnementale sur la qualité des eaux douces sont à évaluer à plus grande échelle.
Publication : Gaël Thery, Farid Juillot, Michael Meyer, Thomas Quiniou, Magali David, Philippe Jourand, Marc Ducousso, Emmanuel Fritsch. 2023. Wildfires on Cr-rich Ferralsols can cause freshwater Cr(VI) pollution : a pilot study in New Caledonia. Applied Geochemistry, 148, p. 105513. https://doi.org/10.1016/j.apgeochem.2022.105513
Contacts science : Farid Juillot, IRD, IMPMC FARID.JUILLOT@IRD.FR
Philippe Jourand, IRD, UMR LSTM (avant 2020) PHILIPPE.JOURAND@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/feu-sol-et-...