Eric Verger : Les stéréotypes de genre sont chevillés au corps de nombreux hommes qui n’en ont pas pris la pleine conscience
Publié par IRD Occitanie, le 11 mai 2023 590
Chargé de recherche dans l’équipe SAND de l’UMR MoISA, Eric Verger est spécialisé dans la mesure de la consommation alimentaire et l’évaluation de sa qualité. Par ailleurs, il est co-animateur de la communauté de savoirs sur les systèmes alimentaires durables (SyaD). Il répond à nos questions dans le cadre du plan d’action égalité de l’Institut.
« J’adhère fortement au concept du refus de parvenir [...] qui correspond notamment au refus des privilèges que notre société m’accorde en tant qu’homme », Éric Verger
Quel parcours vous a amené à prendre les fonctions que vous avez aujourd'hui ?
Après une formation en école d’ingénieur agroalimentaire (AgroParisTech), j’ai exercé mon premier métier en agence sanitaire. Ce n’est qu’après que j’ai envisagé la thèse comme une formation qualifiante mais pas pour devenir chercheur. Puis j’ai poursuivi avec un post-doctorat. Ainsi, pendant 5 années, j’ai travaillé sur l'évaluation et l'amélioration de la qualité de l'alimentation des populations européennes. Puis c’est par l’intermédiaire de mon ancien directeur de thèse que je découvre l’IRD et que je tente ma chance au concours de chargé de recherche. Depuis, mes recherches portent particulièrement sur les relations entre l'agrobiodiversité et la qualité du régime alimentaire chez des femmes vivant dans des petites exploitations agricoles tunisiennes, sénégalaises ou malgaches. Par ailleurs, depuis 2021, je co-anime la communauté de savoirs sur les systèmes alimentaires durables.
L’égalité femmes-hommes, comment l'interprétez-vous dans le milieu scientifique ?
Comme elle devrait s’interpréter dans tous les autres milieux. Il n’y a aucune activité qui serait par essence l’apanage des hommes ou des femmes. Ainsi, les femmes peuvent occuper n’importe quelle fonction et mener n’importe quelle activité dans le milieu scientifique : conceptualisation, activités de terrain et/ou de laboratoire, analyses de données, rédaction et présentation, direction de la recherche, représentation, appui à la recherche, etc. Et inversement, les hommes peuvent prendre en charge n’importe quelle activité familiale qui incombe encore trop souvent aux femmes : tâches domestiques, soins et éducation des enfants, etc. Pour rappel, les données de l’INSEE montrent bien que les femmes assument la plus grande part du travail domestique, et ce même dans les cas où elles seraient professionnellement plus productives que leur conjoint.
Avez-vous un exemple - dans votre vie professionnelle ou celle d’une proche - qui pourrait illustrer la notion d'empowerment des femmes ?
Nous avons de plus en plus d’exemples de femmes à des postes de direction d’unité (Paule Moustier pour l’UMR MoISA), de département (Emma Rochelle‐Newal pour le département Ecobio de l’IRD) et même de notre Institut (Valérie Verdier), qui peuvent illustrer cette notion d’empowerment. Cependant je pense qu’il faut absolument la coupler à celle de disempowerment qui désigne un processus visant à abandonner volontairement les prérogatives des détenteurs du pouvoir, en l’occurrence les hommes. Dans cette optique, j’adhère fortement au concept du refus de parvenir. Rappelée par Corine Morel Darleux, cette idée correspond notamment à celle du refus des privilèges que notre société m’accorde en tant qu’homme. Ainsi, je me refuse à mener une carrière de recherche qui repose sur la délégation de toute la charge familiale à ma compagne, elle-même chercheuse.
Pensez-vous que la place des femmes dans la science est en train d’évoluer dans le bon sens ?
Tout à fait. D’une part, les femmes sont de plus en plus présentes dans le paysage scientifique, même si cela dépend des domaines de recherches. Par exemple, le domaine de la nutrition présente un très fort taux de féminisation. Et d’autre part, les femmes sont de plus en plus présentes dans les différentes fonctions, y compris celles de direction. Néanmoins, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Les stéréotypes de genre sont chevillés au corps de nombreux hommes qui n’en ont pas pris la pleine conscience. Sans parler des violences sexistes et sexuelles qui n’épargnent pas la science.
Pour vous, qui ou quels sont les alliés nécessaires pour faire avancer l’égalité de genre ?
Les hommes justement. Là où nos métiers nécessitent un regard critique sur sa propre démarche scientifique, les hommes des milieux scientifiques devraient normalement être en capacité de prendre du recul sur les stéréotypes de genre qui les habitent. Est-ce que nous nous comportons de la même manière face à des collègues que l’on identifie comme homme ou comme femme ? Est-ce que nous n’avons pas tendance à couper plus facilement la parole à des femmes ? A plus facilement remettre en question leurs travaux ? A moins les citer ? Un tel travail individuel de déconstruction de ces stéréotypes n’est pas facile et il doit absolument être accompagné par des dispositifs et structures qui facilitent et accompagnent ces changements, comme par exemple une formation obligatoire sur les stéréotypes de genre et les violences sexistes et sexuelles.
Quelle émotion est votre moteur ?
C’est probablement l’optimisme. Et il en faut une bonne dose pour ne pas baisser les bras face aux nombreuses inégalités et injustices qu’il nous faut collectivement résoudre.