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Disparition de la forêt de l’île de Pâques : le rôle du climat

Publié par IRD Occitanie, le 27 février 2023   660

Beaucoup d’hypothèses circulent à propos de l’importante modification de végétation survenue sur l’île de Pâques. Des océanographes physiciens, paléocéanographes et palynologues, dont ceux de IRD-LEGOS, lèvent en partie le voile sur ce mystère : un déficit de pluie y aurait accéléré la disparition de la forêt.

Une étude qui a fait la Une de la revue Paleoceanography and Paleoclimatology en décembre, basée sur l’analyse d’indicateurs climatiques du dernier millénaire, met le doigt sur un phénomène climatique très probablement co-responsable de la perte de forêt sur l’île de Pâques.

L’Ahu Tongariki et ses 15 moai est situé dans le sud-est de l’Île de Pâques.

© IRD - Thierry Delcroix

L’île aux statues géantes

Qui n’a jamais entendu parler de l’île de Pâques ? Cette petite terre (164 km2) située au milieu du Pacifique cumule plusieurs particularités. Située entre Tahiti (à 4200 km) et les côtes du Chili (à 3500 km), c’est un des lieux habités les plus isolés au monde ! Elle est particulièrement connue du grand public pour ses statues de pierre monumentales, les moai, devenus emblèmes de l’île. Lorsque les premiers colons, d’origine polynésienne, y débarquèrent dans les années 800-1200, l’île était alors très probablement couverte de palmiers, d’arbustes et de grands arbres. Quant aux premiers européens, ils y firent escale en 1722. L’île sera annexée par l’Espagne en 1770 puis par le Chili en 1888. Ce qui a aussi fait parler de ce territoire, c’est la disparition des grands arbres au cours des derniers siècles.

La plage d’Anakena, avec les quelques palmiers restants, replantés, le Ahu Nau Nau et ses 7 moia

© IRD - Thierry Delcroix

Hypothèses et révélations

« Des analyses de pollens fossiles, charbons et éléments traces obtenus à partir de carottes sédimentaires, ainsi que des résidus archéologiques d’anciens fours culinaires, collectés en différents lieux, montrent une réduction drastique de la végétation, en particulier des grands arbres et des palmiers », explique Thierry Delcroix, océanographe physicien au LEGOS et premier auteur de la publication. Parmi les hypothèses évoquées au sujet de cette disparition, figurait celle d’une surexploitation des ressources du milieu par les insulaires. Explication souvent mise en avant car elle fait bien évidemment écho à la situation actuelle de notre planète. Il y a environ 900 moai sur l’île, érigés entre le XIIe et le XVIIe siècle. Ils ont été transportés à l’aide de rondins de bois provenant de grands arbres alors relativement nombreux. « Nous savons que l’utilisation de ces rondins n’est responsable que d’une partie de la quasi disparition de la forêt survenue au cours des derniers siècles, avance le chercheur. Notre article démontre que des déficits de pluie ont probablement joué un rôle important. »

Déficits de précipitation lors des phases La Nina (en vert) notamment au voisinage de l’ïle de Pâques (marquée EI sur la figure).

© Delcroix et al., 2022

Les variations climatiques pointées du doigt

L'analyse d'ensembles de données indépendants montre en effet des pluies moins abondantes dans la zone lors de certaines phases des épisodes d'El Niño Southern Oscillation (ENSO) sur la période 1850-2021. Les scientifiques du LEGOS mais aussi de l’IMAU, d’EPOC, de l’université de Conception (Chili) et du Muséum national d’histoire naturelle, se sont ensuite appuyés sur une nouvelle reconstruction des épisodes ENSO pour analyser le dernier millénaire. « Les observations instrumentales et de nombreuses simulations climatiques des 50 à 150 dernières années indiquent que les phases froides d’ENSO, dites phases La Niña, se traduisent par des déficits conséquents des précipitations sur l’île de Pâques », révèle l’océanographe. La nouvelle reconstruction d’ENSO basée sur des paléo-enregistrements (cernes d’arbres, carottes coraliennes, …) et des méthodes statistiques avancées fait apparaitre que de très nombreux événements de type La Niña se sont produits entre le XVe et le XVIIe siècle. Ces événements, d’une durée inhabituellement longue, ont ainsi été à l’origine de période prolongées sans pluie et ont donc favorisé sécheresse et feux de forêts. C’est justement à cette époque que l’on observe un déclin massif de la forêt dans les carottes sédimentaires. Le lien est ainsi établi entre cette variabilité naturelle des précipitations et la disparition de la forêt de l’île de Pâques. Et Thierry Delcroix de conclure : « Il est désormais essentiel de prendre en compte les modifications climatiques induites par des événements La Niña pour mieux comprendre l’histoire de l’île de Pâques. A cet égard, coïncidence troublante, il semble que le déclin massif de la forêt corresponde aussi à une profonde remise en cause politique et religieuse de la société Pascuane dont les raisons, sans doute multiples, restent non tranchées. »


Publication : Delcroix, T., Michel, S. L. L., Swingedouw, D., Malaizé, B., Daniau, A.-L., Abarca-del-Rio, R., et al. 2022. Clarifying the role of ENSO on Easter Island precipitation changes: Potential environmental implications for the last millennium. Paleoceanography and Paleoclimatology, 37, e2022PA004514. https://doi.org/10.1029/2022PA004514

Contact science : Thierry Delcroix, IRD, LEGOS TDELCROIX@GMAIL.COM


Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet  COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR

Reconstitution de l’habitat traditionnel, en forme de bateau retourné, signe d’adaptation - Ile de Pâques

© IRD - Thierry Delcroix

Reconstitution de l’habitat traditionnel, en forme de bateau retourné, signe d’adaptation - Ile de Pâques

Le Rana Raraku, où 99% des moia étaient construits, puis transportés aux 4 coins de l’île de Pâques

© IRD - Thierry Delcroix

Le Rana Raraku, où 99 % des moia étaient construits, puis transportés aux 4 coins de l’île de Pâques

Source : https://www.ird.fr/disparition...