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Des solutions locales face aux différentes formes de malnutrition aux Suds

Publié par IRD Occitanie, le 11 avril 2025   46

À l’occasion du sommet Nutrition for Growth, trois experts de l’IRD analysent les leviers durables face aux multiples formes de malnutrition.

Le monde n’est pas en voie d’éliminer les fléaux de la faim, de l’insécurité alimentaire et des différentes formes de malnutrition dont les niveaux restent alarmants ces dernières années. À ce rythme, le deuxième objectif de développement durable semble hors de portée d’ici 2030. Les crises économiques, les conflits armés et l'instabilité géopolitique en général sont non seulement des facteurs qui entretiennent l’insécurité alimentaire des populations à travers le monde, mais rendent difficiles l’aide d’organisations humanitaires Ainsi, l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 a entrainé une chute spectaculaire des exportations ukrainiennes de blé, alors qu’elles contribuaient à plus de la moitié de l'approvisionnement du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies. Plus récemment, la suppression de la quasi-totalité des financements des programmes d’aide à l’étranger de l’agence USAID met en péril le fonctionnement du PAM et de nombreuses autres organisations humanitaires comme Action contre la faim. Cet arrêt des financements états-uniens, combiné à une réduction des financements d’autres puissances économiques européennes, pourrait empêcher le traitement de plus de 2,3 millions d'enfants souffrant de malnutrition aigüe sévère dans le monde et donc entraîner le décès de 369 000 d'entre eux par an.

Face à de telles incertitudes en termes de financements, les annonces issues du sommet Nutrition for Growth, qui s’est déroulé les 27 et 28 mars derniers à Paris, redonnent un certain espoir. En effet, près de quatre cents engagements pour un montant total de 28 milliards d’euros ont été pris, notamment par de nombreux acteurs privés qui devront faire preuve de transparence pour permettre une analyse de leur financements. Au regard des autres bouleversements globaux en cours, tels que le changement climatique et la perte de biodiversité, il est impératif que les financements pour lutter contre la malnutrition favorisent la transition vers des systèmes alimentaires plus sains, plus durables et plus résilients. 

Portrait

Depuis plusieurs décennies, les recherches que nous conduisons priorisent les solutions locales et le renforcement des systèmes alimentaires locaux aux Suds. »
Éric Verger, épidémiologiste de la nutrition à MOISA.

Prévenir et traiter la sous-nutrition

Avec nos partenaires de recherche locaux, ainsi que des acteurs du secteur privé, des ONG et certaines organisations internationales, nous développons et évaluons plusieurs solutions alimentaires à base de matières premières locales. Celles-ci sont adaptées aux contextes et visent à prévenir ou lutter contre différentes formes de malnutrition. Ces solutions vont des recettes traditionnelles améliorées aux aliments manufacturés de micro, petites ou moyennes entreprises. Nous identifions et caractérisons la composition d’aliments locaux d’intérêt nutritionnel, comme les légumineuses sauvages ou cultivées au Bénin et au Burkina Faso, les petits poissons séchés en Afrique du Sud et à Madagascar, ou encore le safou camerounais. Des recettes traditionnelles sont ensuite, valorisées et améliorées afin de prévenir la sous-nutrition des jeunes enfants. Nous étudions également les effets des procédés sur la valeur nutritionnelle pour identifier les itinéraires de transformation les plus favorables, et nous développons des approches innovantes telles que la fortification par fermentation.

Dans les contextes où les aliments-clés pour les apports en micronutriments, comme les aliments d’origine animale ou les fruits et légumes, sont peu disponibles ou accessibles aux groupes de population vulnérables, nous mettons en œuvre la fortification d’aliments locaux pour prévenir les carences en micronutriments : riz fortifié au Cambodge et au Laos, aliments de complément fortifiés pour les jeunes enfants au Sahel et à Madagascar. Une étude panorama des aliments de complément fortifiés produits localement en Afrique de l’Ouest a ainsi été menée à la demande du bureau régional de l’UNICEF en 2020 en vue d’identifier les points forts et les points d’amélioration de cette filière. Enfin, pour lutter contre la malnutrition aigüe modérée ou sévère, nous contribuons dans plusieurs pays d’Asie du sud-est, à la formulation d’aliments prêts à l’emploi innovants, à base de matières premières locales telles que poisson, soja ou son de riz.  

Vue d'une salle de classe au Vietnam avec de nombreux jeunes enfants.

Améliorer les environnements alimentaires et de santé dans les écoles permet de lutter durablement contre les multiples formes de malnutrition (sous-nutrition, carences en micronutriments et surpoids/obésité)

© IRD - Nutripass

Mieux manger à l’école

L’approvisionnement local des cantines scolaires représente un levier intéressant pour promouvoir un système alimentaire plus sain et durable, à l’échelle de l’école. En privilégiant les produits agricoles locaux et de saison pour approvisionner les cantines, cette approche permet de distribuer des repas de qualité aux enfants scolarisés. Elle favorise aussi le développement économique local en soutenant les petits producteurs et les autres opérateurs impliqués dans la production, la transformation ou la distribution des produits alimentaires. Ce type d’approvisionnement s'inscrit également dans une démarche de durabilité et de réduction de l'empreinte carbone, puisqu’elle resserre les distances de transport et peut favoriser des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, comme l’utilisation d’engrais naturel par exemple. Toutefois, la mise en œuvre d’un tel système n'est pas sans obstacles. Le manque d’infrastructures pour soutenir la production locale (stockage, transport, distribution), et de compétences techniques et financières par les petits agriculteurs, ne permettent pas toujours de répondre à la demande des écoles de manière régulière et avec des produits en quantité et qualité suffisantes. La coordination entre différents acteurs et secteurs est un autre élément clé mais souvent défaillant. Ainsi, nous avons accompagné un projet du PAM et du gouvernement Malgache pour identifier les facteurs facilitants et limitants d’un système hybride d’approvisionnement. Testé dans 112 écoles du pays, il allie distribution des denrées de base, comme les céréales et l’huile, et transferts monétaires permettant aux écoles d’acheter des produits frais et locaux auprès des parents d’élève producteurs

Portrait

Au-delà de ces questions d’approvisionnement, nous menons également des recherches pour améliorer les environnements alimentaires et de santé dans les écoles, afin de lutter durablement contre les multiples formes de malnutrition (sous-nutrition, carences en micronutriments et surpoids/obésité) qui touchent de plus en plus d’enfants et d’adolescents dans les villes du Sud. »
Mathilde Savy, épidémiologiste de la nutrition à MOIS
A

Dans des contextes urbains et péri-urbains, au Vietnam, Ghana, Kenya ou aux Comores, la démarche consiste à d’abord documenter l’environnement existant : cantines scolaires, qualité des repas servis, éducation nutritionnelle, jardins scolaires, accès à l’eau et assainissement, activité physique, etc. Nous travaillons ensuite de façon participative avec les communautés (élèves, directeurs, professeurs, parents d’élèves, cantiniers, etc.) pour identifier leurs défis quotidiens. Enfin, nous co-concevons et mettons en œuvre des solutions adaptées, réalistes, et actionnables pour faire face à ces défis.

Portrait

Opter pour des solutions locales crée de l’emploi, favorise la souveraineté alimentaire et peut également faciliter l’acceptabilité sur les plans organoleptique et culturel. »
Claire Mouquet-Rivier, spécialiste en sciences des aliments et nutrition publique à QUALISUD.

Toutefois, pour que ces solutions générées par la science aient l'impact souhaité, certaines questions structurelles inhérentes aux systèmes alimentaires doivent être abordées, telles que les règles du commerce international des denrées alimentaires qui désavantagent les pays pauvres, ou l'asymétrie du pouvoir le long des chaînes d'approvisionnement alimentaire qui rend les petites exploitations familiales encore plus vulnérables. Il est donc important que des politiques publiques appropriées soutiennent les efforts scientifiques et permettent de réaliser des transformations justes pour rendre les systèmes alimentaires durables.

CONTACTS

Claire Mouquet-Rivier QUALISUD (IRD/Institut Agro/Cirad/Université de Montpellier/Université de La Réunion/Université d'Avignon et des pays de Vaucluse)

Mathilde Savy MOISA (IRD/Cirad/INRAE/CIHEAM/Institut Agro)

Éric Verger MOISA (IRD/Cirad/INRAE/CIHEAM/Institut Agro)

PUBLICATIONS

Julia Liguori, Hibbah Araba Osei-Kwasi, Mathilde Savy, Silver Nanema, Amos Laar & Michelle Holdsworth. How do publicly procured school meals programmes in sub-Saharan Africa improve nutritional outcomes for children and adolescents: a mixed-methods systematic review, Public Health Nutrition, 18 octobre 2024
DOI: 10.1017/S1368980024001939

Julia Liguori, Gideon Senyo Amevinya, Michelle Holdsworth, Mathilde Savy & Amos Laar, Nutritional quality and diversity in Ghana's school feeding programme: a mixed-methods exploration through caterer interviews in the Greater Accra Region, BMC Nutrition, 27 septembre 2024
DOI: 10.1186/s40795-024-00936-9

Source : https://lemag.ird.fr/fr/des-so...