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Des poissons insensibles aux changements climatiques

Publié par IRD Occitanie, le 11 août 2021   920

Des chercheurs de l’UMR ISE-M et leurs collaborateurs indonésiens ont exploré les trajectoires historiques d’accumulation de la diversité en espèces chez 8 lignées de poissons d’eau douce en Asie du Sud-Est et ont montré, à travers deux publications, que les changements climatiques n’avaient pas eu de prise sur leur diversification.

La biodiversité actuelle d’un lieu s’explique souvent en faisant appel aux évènements des temps géologiques mais certaines zones du monde ou certains groupes zoologiques réservent des surprises aux scientifiques… par exemple les poissons de la sous-famille des Rasborinae en Indonésie.

Reconstitutions géologiques de l'archipel indo-australien depuis l'Oligocène moyen, reconstitution paléorivière au Pléistocène et fluctuations du niveau de la mer

© IRD - Nicolas Hubert

Des îles isolées ou connectées au gré des cycles de glaciation

Basés sur des approches de phylogénie moléculaire et de modélisation des dynamiques de diversification spatiale (biogéographie) et temporelle (production d’espèce au cours du temps), les chercheurs dévoilent une absence de trace apparente des changements climatiques du Pléistocène sur les trajectoires historiques de diversification des espèces des îles de la Sonde (Java, Sumatra, Bornéo). « Ce résultat va à l’encontre des prédictions formulées dans les années 90 dans le cadre de l’hypothèse des Paléorivières », explique Nicolas Hubert, chercheur à l’ISE-M et coordinateur de ces études. L’interaction entre la géologie et les variations du niveau de la mer - liées aux fluctuations climatiques du Pléistocène - en Asie du Sud-Est insulaire (Sundaland), prédit des alternances de connexion et déconnection entre les îles du plateau de la Sonde (Java, Sumatra, Bornéo). Il est admis qu’en période glaciaire, le niveau marin est bas et donc les îles sont reliées tandis qu’en période interglaciaire, la mer plus haute isole les îles. Mais dans ce cas précis, une bande de savane aurait occupé les terres exondées, créant un habitat terrestre peu propice à la circulation des poissons d’eau douce entre les différentes îles.

Sumatra, province de Sumatra Sud

© IRD - Nicolas Hubert

Des lignées de poissons moins anciennes que prévu

Les principales révélations issues des deux publications :

  • la grande majorité des espèces de poissons d’eau douce de la région est apparue au cours du Pléistocène, un résultat surprenant pour les tropiques où les espèces sont généralement plus anciennes ;
  • les variations du niveau de la mer, et donc des fluctuations climatiques du Pléistocène, n’ont laissé aucune trace apparente sur la diversification des espèces chez 7 des 8 lignées étudiées, en effet, les taux de proliférations d’espèces sont constants, sans extinction notable ;
  • la plupart des évènements de spéciation se sont produits au sein des îles, suggérant un rôle limité des bandes de terre entre iles en période glaciaire dans la dispersion des espèces ;
  • Bornéo est le centre d’origine de la plupart des groupes étudiés ;
  • les lignées associées aux tourbières forestières n’ont pas réussi à coloniser Java, indiquant que la bande de savane entre Java, Bornéo et Sumatra a constitué une barrière écologique à la dispersion pour ces groupes d’espèces inféodées aux milieux d’eau douce forestiers.

Modèle géographique de spéciation chez les poissons d'eau douce d'Asie du Sud-Est.

© IRD - Nicolas Hubert

La biodiversité fait de la résistance

Ces résultats acquis dans le point chaud de biodiversité de Sundaland, l’un des plus gros à l’échelle mondiale en terme de nombre d’espèces endémiques, suggèrent une force d’inertie des biotas aquatiques face aux changements climatiques. « Sundaland présente un endémisme et une richesse spécifique élevés de par la persistance d’un grand nombre d’espèces (absence d’extinction) et la stabilité des dynamiques éco-évolutives face aux changements climatiques », affirme Arni Rahmawati Fahmi Sholihah, 1er auteur de l’étude, maître de conférence à la School of Life Sciences and Technology de Bandung, ayant réalisé sa thèse sur le sujet à l’UMR ISE-M. Dans le contexte actuel, ces connaissances apportent l’espoir que les points chauds de biodiversité les plus riches de la planète résistent mieux aux changements climatiques en cours.


Publications :

  • Sholihah A, Delrieu-Trottin E, Condamine FL, Wowor D, Rüber L, Pouyaud L, Agnèse JF, Hubert N. 2021. Impact of pleistocene eustatic fluctuations on evolutionary dynamics in Southeast Asian biodiversity hotspot. Systematic Biologyhttps://doi.org/10.1093/sysbio/syab006
  • Sholihah A, Delrieu-Trottin E, Sukmono T, Darhuddin H, Pouzadoux J, Tilak M-K, Condamine FL, Wowor D, Rüber L, Hubert N. 2021. Limited dispersal and in situ diversification drive the evolutionary history of Rasborinae fishes in Sundaland. Journal of Biogeographyhttps://doi.org/10.1111/jbi.14141

Contact science :

Nicolas Hubert, UMR I-SEM NICOLAS.HUBERT@IRD.FR

Contacts communication :

Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR

Source : https://www.ird.fr/des-poisson...