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Comment la chenille légionnaire a envahi quatre continents

Publié par IRD Occitanie, le 27 juin 2023   610

Originaire des Amériques, la chenille légionnaire s’attaque au maïs, cotonnier et sorgho sur quatre continents. Des scientifiques des UMR DGIMI, CBGP, AÏDA et PHIM se sont attachés à retracer son schéma d’invasion et à déterminer ce qui a contribué à son adaptation dans les aires colonisées. Leurs résultats sont publiés dans les Scientific Reports du groupe Nature.

Savoir comment un nuisible colonise de nouveaux territoires et s’y adapte peut aider à mieux le contrôler. Exemple d’un papillon dont la chenille cause d’immenses dégâts sur les cultures.

S. frugiperda dans une capsule de cotonnier, Brésil

© IRD - Pierre Silvie

Menace sur les cultures : la chenille de la Noctuelle américaine

L'invasion biologique par des espèces nuisibles – en majorité ce sont des insectes - est l'une des principales causes de pertes en agriculture. Ces ravageurs impactent lourdement les pays d'Afrique subsaharienne, où l'économie nationale est fortement dépendante de l'agriculture : près de 35 % du PIB national sont perdus à cause des ravageurs invasifs. Originaire des Amériques, la Noctuelle américaine du maïs a été signalée pour la première fois en Afrique de l'Ouest en 2016 puis a été rapidement observée sur une grande partie du continent ainsi qu’en Asie et Océanie, devenant l'une des principales menaces pour la production de maïs. En fait c’est la chenille, stade larvaire du papillon, qui est la forme responsable des dégâts : elles sont d’ailleurs appelées « légionnaires » parce qu’elles se dispersent à la recherche de nourriture. Lorsqu’elles s’attaquent à un champ de maïs, elles peuvent provoquer jusqu’à plus de 50 % de perte de production en Afrique, où le maïs apporte aux populations 30 % de l'apport calorique. Des résistances aux insecticides ou aux substances utilisées en lutte biologique ayant déjà été signalées, il est urgent de caractériser la structure génétique des populations de chenille légionnaire, qu’elles soient indigènes ou invasives.

Carte des sites de prélèvement des chenilles Spodoptera frugiperda. La couleur bleue indique les pays d'origine de S. frugiperda. Le vert, le rouge, le jaune, et les couleurs orange indiquent que l'invasion a été signalée en 2016, 2017, 2018 et 2019.

© Yainna et al., 2022

Une seule origine génétique malgré de multiples introductions

Le processus d'une invasion comprend trois étapes : introduction d'une espèce exotique en dehors de son aire de répartition d'origine ; établissement de populations stables ; expansion de l'aire de répartition à partir de la population établie. Mieux connaître l’ennemi est utile pour freiner sa conquête de nouveaux terrains. « Nous avons analysé des séquences du génome entier de 177 individus issus de 12 sites sur quatre continents dans l’intention de déduire des scénarios probables d'invasion et les mécanismes évolutifs sous-jacents », explique Pierre Silvie, entomologiste à l’IRD à l'UMR PHIM. Les chenilles légionnaires présentes sur le sol américain, leur aire native, appartiennent à deux souches nommées sfC et sfR, dont les plantes hôtes majoritaires sont respectivement le maïs et le riz. Les échantillons prélevés majoritairement sur du maïs -  reflétaient la diversité rencontrée dans le monde. Représentant 99 populations indigènes et 78 envahissantes, cet ensemble de données est le plus complet à ce jour. Les résultats des différentes analyses génétiques suggèrent que des introductions multiples se sont produites depuis le continent américain vers le reste du monde. Malgré cela, les scientifiques ont prouvé que les populations invasives descendent toutes d’une seule souche, la sfC.

Dégâts de S. frugiperda sur maïs, Brésil

© IRD - Pierre Silvie

L'évolution adaptative a contribué au succès invasif

La chenille légionnaire est une « machine de guerre » : capacité de dispersion élevée, comportement migratoire marqué, faculté de développer rapidement une résistance contre les insecticides qu’ils soient synthétiques ou naturels. Plusieurs gènes spécifiques aux populations invasives ont été identifiés au cours de l’étude. Pour résumer, les auteurs proposent le scénario invasif suivant : les chenilles légionnaires ont été introduites plusieurs fois puis les populations invasives ont connu une phase de latence pendant laquelle des recombinaisons génétiques sont apparues. Ensuite la population établie dans sa nouvelle aire a vu ses effectifs croître de façon explosive, ce qui l’a rendu visible par les agriculteurs qui ont alerté les scientifiques. Enfin, les envahisseurs ont montré une expansion très rapide de leur aire de répartition à travers l'Afrique subsaharienne, l'Égypte, l'Asie et l'Océanie. « La génomique comparative et des études fonctionnelles sur l'adaptation aux plantes hôtes et la résistance aux insecticides sont nécessaires de toute urgence pour identifier les principales forces sélectives évolutives responsables du succès invasif et ainsi contrôler plus efficacement la chenille légionnaire », conclut Yainna Sudeephta, premier auteur et doctorante sri lankaise.


Publication :  Yainna S., Tay W. T., Durand K., Fiteni E., Hilliou F., Legeai F., Clamens A. L., Gimenez S., Asokan R., Kalleshwaraswamy C. M., Deshmukh S. S., Meagher R. L., Blanco C. A., Silvie P., Brevault T., Dassou A., Kergoat G. J., Walsh T., Gordon K., Negre N., D'Alencon E., Nam K. 2022. The evolutionary process of invasion in the fall armyworm (Spodoptera frugiperda). Scientific Reports - Nature, 12 (1), 21063 https://doi.org/10.1038/s41598-022-25529

Contact science : Pierre Silvie, IRD, PHIM PIERRE.SILVIE@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR