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Cartographier les risques sédimentaires au cœur de l’Amazonie

Publié par IRD Occitanie, le 7 mars 2025   58

En Amazonie centrale, la première cartographie des risques associés aux processus de sédimentation et d’érosion vient d’être publiée.

L’Amazone n’est pas un long fleuve tranquille. Loin de là ! Au détour de ses immenses bras et affluents, le long de ses innombrables méandres, boucles et lacets, ce fleuve hors norme – le plus puissant du monde – charrie énormément de sédiments. Près d’un milliard de tonnes d’alluvions seraient ainsi acheminées chaque année jusqu’à l’océan Atlantique par l’Amazone. Dans leur sillage se produisent des processus de sédimentation et d’érosion qui sont responsables d'importants changements dans les paysages fluviaux. C’est tout particulièrement vrai dans l’Amazonie centrale, comme dans la réserve de développement durable Mamirauá, une immense aire protégée de plus de 11 000 km2 où se côtoient forêts inondables et vastes zones humides. « Entre les crues annuelles et la saison sèche, le niveau de l’eau peut varier de plus d’une dizaine de mètres, indique André Zumak, géographe à l’Institut Mamirauá de développement durable de Tefé au Brésil. En conséquence, les berges et les marges des cours d’eau évoluent en permanence. » Ce qui n’est pas sans risque pour les 11 000 habitants de la réserve qui vivent dans environ 200 villages et communautés.

Des communautés affectées par un paysage fluvial instable

« L’érosion causée par la dynamique du fleuve et de ses affluents peut déclencher des glissements de terrain ou des éboulements et représente un risque majeur pour ces communautés et leurs infrastructures, poursuit Ayan Fleischmann, hydrologue à l’Institut Mamirauá. Par ailleurs, les dépôts de sédiments le long des berges peuvent former de larges plages susceptibles d’isoler ces populations pour qui les cours d’eau sont le seul moyen de déplacement. »

À Aldeia Canariá, après une phase historique d’érosion, certaines constructions sont fissurées, des bancs de sable se forment devant la communauté.

© Instituto de Desenvolvimento Sustentável Mamirauá - Paula dos Santos Silva

Ces plages, parfois larges de plusieurs centaines de mètres, limitent en effet les échanges et l’accès de ces populations à leurs moyens de subsistance ainsi qu’aux infrastructures, notamment sanitaires, des quelques centres urbains de la région. Afin de déterminer les risques associés à ces processus de sédimentation et d’érosion pour les habitants de la réserve de Mamirauá, ces chercheurs de la Jeune équipe associée à l’IRD (JEAI) Amawe et leurs collaborateurs, ont procédé en deux étapes. « À partir de données satellites sur les changements de niveau des eaux de surface dans la région entre 1986 et 2021, nous avons identifié quelles zones sont affectées par ces phénomènes sédimentaires et avons déterminé les aléas associés », explique Alice Fassoni, spécialiste des observations spatiales à l’Institut des géosciences de Brasilia. « Des données socio-économiques obtenus lors de campagnes de recensement réalisées par l’Institut Mamirauá auprès d’une cinquantaine de communautés ont ensuite été compilées et interprétées pour caractériser l’exposition et la vulnérabilité de ces populations à ces aléas », ajoute André Zumak. L’ensemble de ces informations a alors permis à ces scientifiques de cartographier ces risques environnementaux. Il en résulte que près de la moitié de la population de la région est soumise à un paysage fluvial instable, non seulement dans les plaines d’inondation, mais aussi dans les hautes terres. 18,5 % des communautés sont ainsi affectées par des processus de sédimentation et 26 % par l’érosion. Quatre d’entre elles sont particulièrement concernées par ces risques. 

Des risques à prendre en compte

« Ces résultats soulignent la nécessité d'inclure les processus sédimentaires dans les stratégies de gestion des catastrophes dans les territoires de l’Amazonie », déclare l’hydrologue Fabrice Papa, spécialiste de télédétection spatiale. « Il existe bien un système d’alerte contre les inondations mais les risques associés à ces phénomènes d’érosion et de sédimentation ne sont pas intégrés », regrette Ayan Fleischmann, qui espère que ces travaux résonneront comme un appel à l’action pour les autorités locales et les agences fédérales brésiliennes. 

À Coadi, la rive subit une érosion intense qui se traduit par des éboulements. Les constructions de la communauté sont menacées.

© Instituto de Desenvolvimento Sustentável Mamirauá - Paula dos Santos Silva

Une action d’autant plus nécessaire au vu de la récente intensification des évènements climatiques extrêmes associés au changement climatique dans la forêt amazonienne – comme les inondations historiques de 2021 ou les sécheresses exceptionnelles des deux dernières années. Des désastres qui amplifient probablement les processus sédimentaires à l’œuvre dans la région. Par ailleurs, la méthodologie utilisée dans ces travaux pourrait être appliquée à d’autres bassins hydrographiques, au-delà de l’Amazonie. « L’initiativeGlobal Surface Water Explorer”, issue du programme d’observation de la Terre de l’Union européenne Copernicus, a mis à disposition sur Internet l’ensemble des données satellite relatives à l’emplacement et à la répartition des eaux de surface depuis 1986 à l’échelle mondiale », rappelle Alice Fassoni. Il ne tient qu’à la recherche de s’en emparer. Fabrice Papa et ses collègues sont d’ailleurs en train d’exploiter certaines de ces données pour quantifier les risques associés aux processus sédimentaires dans le bassin du fleuve Congo.

Source : https://lemag.ird.fr/fr/cartog...