"A usages multiples" (#3)
Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 11 mars 2024 740
Dire que le lichen est un organisme plein de ressources est un euphémisme, tant la liste des usages que l’on en fait est longue, diversifiée et probablement loin d’être close. Alors voilà juste un petit tour d’horizon des plus connus, des plus répandus.
Deux espèces sont très utilisées et connues en parfumerie, on les trouve sur les arbres (chênes, mais aussi conifères ou encore pruneliers) Evernia prunastri qui donnent aux parfums féminins des notes marines ou Pseudevernia furfuracea très prisé pour les eaux de toilette pour homme avec ses notes boisées. Ces « mousses de chêne » et d’arbres sont récoltées au printemps et à l’automne en Europe et au Maroc principalement. Ces lichens présentent l’avantage de produire des antioxydants qui stabilisent les eaux de parfums ou de toilettes. De plus en plus, ces substances sont remplacées par des composés chimiques pour limiter les risques d’allergies. Néanmoins, ce sont 8 à 9 000 tonnes de ces espèces qui sont prélevés chaque année pour les parfums à odeur de "Chypre" et autre "cuir de Russie", avec une conséquence lourde : elles ont désormais disparu dans certaines zones de récolte, en France notamment.
Les lichens fabriquent des acides et des substances spécifiques dont ils ont besoin, et certaines de ces substances lichéniques offrent des propriétés très intéressantes pour la teinture. Les lichens à orseille, doivent cette dénomination à l’acide orsellinique, ingrédient « précurseur » (de base) indispensable à la biosynthèse des pigments (fabrication chimique) : depuis l’Antiquité on les utilise pour créer la pourpre antique (ingrédient moins couteux que les coquillages). Le Parmelia saxatilis donne la couleur (brun rouge) et une odeur caractéristique aux tweeds écossais. Mais d’autres lichens offrent d’autres couleurs : Umbilicaria pustulata lie de vin, Lobaria pulmonaria couleur tabac, Usnea jaune à orangé, Letharia vulpina jaune-vert, Xanthoria parietina du jaune au brun orangé, Evernia prunastri violet, Candelariella vitellina jaune, ou encore Nephroma parile bleu. Et Bryoria permet même de produire une peinture noire pour le bois.
Surtout connues comme nourriture pour rennes (Cladonia rangiferina, Cladonia stellaris…), quelques espèces de lichens font partie de la tradition gastronomique de certains pays. C’est le cas au Canada, en Islande, mais aussi en Chine ou encore au Japon : l’Umbilicaria esculenta, plus connu sous le nom d’Iwatake (étymologiquement « champignon qui pousse sur la pierre ») est un met délicat qui entre dans la composition de nombreux plats (soupe, beignets, salades…). Les espèces consommées sont toujours cuites, et bouillies préalablement (souvent plusieurs fois). Transformées en farine on peut aussi en faire du pain, c’est le cas en Turquie, en Egypte ou en Laponie. En Allemagne pendant la première guerre mondiale on diffuse une procédure pour éliminer un acide et faire du Moosbrot (pain de mousse), en ex-URSS pendant la seconde guerre on fait du sucre à partir du Cladonia mitis pour pallier la pénurie de betteraves. Certaines espèces de Ramalina ont été distillées au XIXe siècle en Scandinavie pour produire de l’alcool, l’activité n’a pas perduré, et aujourd’hui on le trouve seulement dans les composants d’un Gin islandais.
Évidemment, les lichens apparaissent dans de nombreuses pharmacopées traditionnelles (Inuit, égyptienne, indienne…). Désormais la médecine conventionnelle s’intéresse aux divers composés organiques des lichens, c’est notamment une partie de l’activité de recherche de l’Institut des Sciences Chimiques de Rennes. Mais comme souvent, ce qui soigne peut aussi nuire et certains lichens peuvent être très toxiques : le Letharia vulpina était mélangé aux appâts pour tuer les renards et les loups.
Bibliographie
Robert Engler, Danièle Lacoux, Lichens et teintures, Bulletin de l’Association Française de Lichénologie, Vol. 35, Fasc.1, 2010.
Dominique Cardon, Gaëtan du Chatenet, Guide des teintures naturelles, Delachaux et Niestlé, Paris, 1990.
Rémy Humbert, A quoi ça sert…un lichen ?, Isatis n°20, 2020.
Le Service des Collections de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier a entrepris un chantier d’envergure : le projet NIEHL, pour la Numérisation, l’Informatisation et l’Etude des Herbiers de Lichens. Ce travail a été retenu dans le cadre de l’Appel à Projets du Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation en 2022, et réalisé en 2023. Les herbiers toulousains (ainsi que des planches d’Herbiers des collections de Rennes et de Strasbourg) numérisés et informatisés, permettent désormais de constituer une base de données représentative de la biodiversité lichénique en France (et même au-delà) il y a un peu plus d’un siècle.
- Région Occitanie : Herbier Saltel (Aveyron, Cantal, Haute-Garonne), 1870-1903 soit 135 parts
- Région Nouvelle Aquitaine : Herbier Chaubard (Lot-et-Garonne) début XIXe soit 247 parts, et Planches significatives de l’Herbier Lichens Sudre (Lot-et-Garonne), début XXe.
- Région Bourgogne : Herbier Fautrey (Côte d’Or), 1890-1910 soit 275 parts
- Région Grand Est : Lichens de l’Herbier Mougeot et Nestler (Vosges, Rhin), 1811-1843 soit 100 parts
- Région Bretagne : Types de l’Herbier Des Abbayes (Côtes d’Armor), milieu XXe soit 90 parts,
- Herbier Rouane Bretagne (Finistère) XXe siècle, soit 39 parts
- Région Normandie : l’Orne avec les données déjà numérisées de l’Herbier Olivier collecté en 1880 soit 295 parts.
Et en plus quelques planches d’ailleurs :
- S-E des Etats Unis : Herbier Paul Otto Schallert (exsiccata de l’herbier de l’université du Dakota), 1960-1962, 31 parts.
- Mexique : Herbier « Rouane », 1965, 38 parts.
La numérisation s’accompagne d’une révision, et elle est aussi l’occasion de mettre en lumière des collections rarement montrées et pourtant précieuses historiquement, scientifiquement, et culturellement. L’occasion de faire le point en 5 épisodes.
Rédaction : Corinne Labat
Conseillers Scientifiques :
Nathalie Séjalon-Delmas, enseignante chercheure (Université Toulouse III - Paul Sabatier)
Xavier Bossier, technicien de recherche (Fédération de recherche FRAIB)