Une histoire vieille de 400 ans

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 15 février 2025   100

Le Musée Fermat, au cœur de Beaumont de Lomagne, a ouvert en juillet 2024 dans la maison natale du célèbre mathématicien Pierre de Fermat située dans le plus ancien bâtiment civil de la bastide, un bel hôtel particulier datant de la fin du XVe siècle qui a gardé tout son cachet.



Une histoire vieille de 400 ans


On sait que Pierre de Fermat naquit à Beaumont dans les premières années du XVIIe siècle. Excellent helléniste et tout nourri de culture antique, il a prôné, en son temps, la collaboration entre les savants et, grâce aux bons offices de son contemporain, le père Mersenne, n’a jamais cessé d’échanger avec ses pairs disséminés dans toute l’Europe.

Durant les 400 et quelques années qui nous séparent de sa naissance, son œuvre n’a pas cessé de féconder la recherche mathématique et les hypothèses qu’il a laissées en suspens ont continué à titiller les mathématiciens. Confirmées ou invalidées, elles ont toutes trouvé des réponses sauf une dernière affirmation qui fut nommée le dernier théorème ou parfois aussi le grand théorème et que l’on peut énoncer ainsi :
Il n'existe pas de nombres entiers strictement positifs x, y et z tels que : Xn+Yn=Zn dès que n est un entier strictement supérieur à 2.

 

Ce fameux théorème, qui était en fait une conjecture puisqu’on n’a jamais retrouvé la démonstration de Fermat, donna lieu à des recherches des mathématiciens les plus émérites, mais le grand public ignorait tout de cette œuvre difficile. On était là dans un entre soi du monde savant, une sorte de chasse gardée.

En marche vers la reconnaissance
 
Ce n’est qu’à l’orée du XIXe siècle qu’on voit s’amorcer un mouvement vers une certaine reconnaissance de notre savant en dehors du cercle étroit des spécialistes.

 

Dans les années 1780, la ville de Toulouse commande au sculpteur François Lucas deux bustes de Pierre de Fermat, l’un destiné à la salle des Illustres du Capitole, l’autre mis en place dans le tombeau de la famille Fermat aux Augustins en même temps qu’une plaque commémorative portant une épitaphe en latin évoquant « la pieuse mémoire de Pierre de Fermat, membre du parlement de Toulouse ». C’est donc l’homme public et non le mathématicien qu’honore Toulouse.

 

En 1807, c’est en revanche sous l’égide du savant que se place l’Académie des Sciences, inscriptions et Belles lettres de Toulouse lorsqu’elle reprend ses travaux.

En 1813, le ministère de l’instruction publique (qu’on nommerait aujourd’hui l’éducation nationale) ouvre une ligne budgétaire destinée à l’impression des œuvres du grand homme, autorise la ville de Beaumont à élever une statue à sa mémoire et lui accorde une aide financière qu’augmentent des fonds provenant de sociétés savantes et du conseil autrefois général aujourd’hui départemental.

A Beaumont donc, le conseil municipal vote un crédit en complément de ceux qui lui ont été alloués, décide d’ériger la fameuse statue et met le projet en attente. Il y restera pendant presque un siècle.
En 1843, M. Villemain, ministre de l’instruction publique obtient les fonds nécessaires pour l’édition des œuvres de Fermat mais il s’agit de réunir, en plus des rares traités imputables à notre savant les quelques deux cents lettres qui ont été envoyées par lui à ses correspondants de France et d’Europe.
Retrouver les courriers disséminés ici ou là s’avère plus difficile que prévu car Pierre de Fermat, qui ne se souciait pas de publier, ne faisait pas non plus copie de ses missives. Guillaume Libri, membre éminent de l’académie des sciences de Paris et Théodore Despeyrous, mathématicien lui-même et natif de Beaumont alors en poste à Dijon, sont envoyés en mission dans plusieurs pays d’Europe, notamment l’Allemagne sur les traces des courriers perdus de notre savant.



De notre savant dont la notoriété demeure intacte malgré les années écoulées, on possède en effet très peu d’écrits. On doit à son fils aîné, Samuel de Fermat, magistrat comme lui, l’édition en 1670 de son exemplaire des Arithmétiques du, mathématicien du III° siècle, Diophante, annotées de la main de son père, puis en 1679 de l’ouvrage Varia Opera mathematica D. Petri de Fermat, senatoris tolosani où, en fils respectueux, il s’est efforcé de réunir tout ce qu’il a pu retrouver de la correspondance du grand homme. Mais cet ouvrage qui a au moins le mérite de rassembler et faire connaître une œuvre dispersée présente des insuffisances notoires. Tout d’abord, il ne comporte qu’une petite partie des lettres envoyées ou reçues par son père et, d’autre part le travail critique est insuffisant, Samuel de Fermat n’étant pas mathématicien.

En 1867, Théodore Despeyrous informe les membres de l’Académie des sciences et belles lettres de Toulouse, dont il fait partie, que la maison natale de Pierre de Fermat a été identifiée à Beaumont de Lomagne.

 

En 1882, inauguration en grande pompe de la statue de Fermat, œuvre du célèbre sculpteur toulousain Alexandre Falguière, qui a été payée non par la commune de Beaumont mais par Théodore Despeyrous lui-même lassé d’attendre que la ville se décide à honorer son enfant le plus célèbre.

 

 

 

Désormais Pierre de Fermat, éminent Beaumontois dont très peu de ses concitoyens connaissent l’œuvre, trône à Beaumont sur la place du marché.
En 1890, le portrait en pied de Jean François Loubens prend place sur la façade de l’Académie des Sciences des allées Jules Guesdes à Toulouse


En 1894 commence enfin la publication par les soins de MM. Paul Tannery et Charles Henry des œuvres de Fermat, du moins celles que l’on a pu retrouver. On verra paraître en un peu moins de cinquante ans cinq ouvrages qui constituent un outil précieux pour les mathématiciens du monde entier.


En 1898 le buste de Théophile Barrau plaisamment nommé Fermat et sa muse prend place dans la salle des Illustres à Toulouse. Des rues, des écoles, des amphithéâtres dans plusieurs universités scientifiques prennent le nom du grand homme. L’académie des sciences, inscriptions et belles lettres de Toulouse lui rend hommage et se place sous son égide.

Et puis plus rien !

Un coup de tonnerre médiatique
 

 
Il faudra attendre les années 1990, soit pratiquement un siècle plus tard pour qu’un coup de tonnerre éclate dans le ciel médiatique projetant Pierre de Fermat à la une des journaux du monde entier.

Avant cela l'Institut de mathématiques de Toulouse, avant même la démonstration de la conjecture  avait créé en 1989 un prix Pierre de Fermat pour récompenser les mathématiciens le plus éminents.

Quant à la fameuse conjecture improprement appelée le dernier théorème, tous les essais de démonstration étant demeurés infructueux depuis plus de 350 ans, elle avait acquis la réputation d’être indémontrable et semblait vouée à demeurer conjecture pour l’éternité. De sorte que l’on cria au miracle lorsque, en 1993, l’anglais Andrew Wiles, lors d’un congrès à Cambridge, régala le monde mathématique d’une démonstration, lui donnant le statut de théorème.
Puis avec toute la presse, le public se désespéra lorsque quelques mois plus tard, la fameuse démonstration fut invalidée et à nouveau s’enthousiasma quand, après avoir bravé le découragement pendant une nouvelle année de recherches, le même Andrew Wiles revint sur le devant de la scène en triomphateur.

 
Pendant ces deux années, des centaines d’articles fleurirent dans les journaux et les revues du monde entier. Les romans s’emparèrent du sujet, les revues scientifiques publièrent à qui mieux mieux des articles de fonds dans des éditions spéciales. Des ouvrages de vulgarisation naquirent.
En 1935, l’union astronomique internationale donna le nom du grand homme à un cratère lunaire. En 1957, la mairie de Toulouse décida de nommer Lycée Fermat l’un de ses établissements scolaires le plus prestigieux sis dans l’hôtel particulier de Jean de Bernuy, l’ancêtre de notre savant par la branche maternelle. En 2014, la société Orange Marine baptisa Fermat l’un de ses navires câbliers. Puis la BD et la vidéo étaient entrèrent en lice.
Voilà pour le contexte. Mais le futur musée dans tout cela ?

Fermat dans sa bonne ville
 
Dès 1995, après le triomphe d’Andrew Wiles, un petit groupe de bénévoles issus de Beaumont et de l’université Paul Sabathier s’est mis à l’ouvrage pour créer l’association Fermat Lomagne devenue très vite Fermat Science lorsque ses actions ont dépassé le cadre local pour s’étendre au département, puis à l’Occitanie, à la France, enfin à l’Europe et à quelques pays du monde.
Les objectifs de cette association étaient doubles :

Le premier était de partager les mathématiques avec un large public et notamment de lutter contre les inégalités d’accès à la culture dans le milieu scolaire au moyen de produits pédagogiques, d’expositions et de festivités destinés à faire goûter à tous le plaisir de découvrir les sciences et, plus particulièrement les mathématiques.

 
Objectif atteint. Entre 2016 et 2024, 96 000 élèves ont bénéficié du savoir-faire de Fermat Science, 98 000 lecteurs ont lu les articles publiés dans la presse locale, les revues nationales et notamment dans une revue scientifique par Internet nommée Echosciences. Quant aux réseaux sociaux, ils affichent chaque année des milliers de vues.

Le deuxième objectif, plus difficile à atteindre, était dès le départ de créer un équipement destiné à promouvoir auprès du grand public l’image de Pierre de Fermat, de faire découvrir les mathématiques de son siècle et du nôtre et de montrer qu’elles sont partout dans notre existence. Comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, chacun de nous fait des maths à longueur de vie. Il s’agissait donc de lier la culture scientifique à toutes les formes du savoir et des arts : patrimoine, littérature, musique, danse….

 

Une lente avancée

Pour en arriver à la création de ce fameux musée, les municipalités successives de Beaumont ont été mises à contribution. Grâce à des maires éclairés, et notamment le premier, Henri Daudignon, la commune a tout d’abord acquis, dans les années 1980, et fait restaurer par l’architecte Roger Lasnier la maison natale de Fermat qui a été promue en 2011 par le Ministère de la culture au rang de Maison des Illustres.

Puis, beaucoup plus tard, l’achat de l’immeuble mitoyen, l’hôtel Dubosc, a permis la mise en place grâce à l’architecte Gaëlle Cavarrec d’un pôle culturel, touristique et économique au cœur de la cité inauguré en grand pompe en septembre 2024 avec, en son centre, le musée Fermat.

L’année 2024 est donc la dernière étape de cette aventure qui a duré plus de trente ans.

 
En juillet de cette même année, dans l’hôtel Fermat dûment restauré, le public a eu accès à une formule originale de tourisme scientifique. Invités à pénétrer dans la maison natale du célèbre mathématicien, les visiteurs de tous âges ont pu découvrir, en plus du personnage et de son époque, une exposition thématique traitant d’un sujet contemporain : Entrez dans le monde de l’IA.

Celle-ci, conçue par l’équipe de Fermat Science en collaboration avec des partenaires prestigieux de toute la France, est revenue dans sa ville d’origine après avoir connu un beau succès à Lyon, à la Maison des Maths et de l’Informatique et à Paris, à la Maison Poincaré où elle a fait l’ouverture du premier Musée des maths français qui a précédé le Musée Fermat de Beaumont d’une année. 
 
Une aventure collective

C’est dire à quel point le Musée qui rend compte de l’aventure mathématique du savant lomagnol est aussi, et surtout, le fruit d’une aventure collective.

A tout seigneur tout honneur Ce voyage vers un savoir à partager doit beaucoup à Pierre Gairin, infatigable fouilleur d’archives qui a inlassablement oeuvré pour rassembler un maximum d’informations éparses. Avec lui et autour de lui, un petit nombre de Beaumontois et Beaumontoises puis Jean Cassinet qui a entraîné dans son sillage des universitaires de Paul Sabatier. Se sont adjoint au fil des rencontres des amis et des sympathisants. Mais rien ne serait possible sans le personnel de Fermat science dont l’intelligence n’a d’égale que la détermination à faire vivre le projet et sans le bureau de l’association constitué de 7 personnes venant d’horizons variés : mathématiciens, littéraires, architecte, responsables administratifs et/ou culturels.

 
Pour l’avenir ont poussé sur ce vivier de nouveaux rameaux qui prêtent un concours actif aux projets de Fermat Science et se montrent prêts à prendre la relève. Riche de toute cette matière grise, on peut espérer que le Musée Fermat aura de beaux jours devant lui.

 
Installé dans la maison de ce magistrat du XVIIe siècle dont l’essentiel des déplacements se résumait à un triangle formé par Beaumont, sa ville natale, Toulouse et Castres, deux villes où il exerça sa charge de magistrat, le Musée Fermat porté par un bureau et une équipe dynamiques, offre à ceux qui le visitent un fabuleux voyage au cœur de l’ébullition scientifique et de la pensée humaine, de l’antiquité jusqu’à nos jours et au-delà.

A partir de ces thèmes universels que sont les mathématiques et l’informatique, le musée Fermat devient un pôle de ressources, de compétences et d’attractivité, un centre de production culturelle et de réflexion, et on peut espérer qu’il continuera à offrir à la ville natale du grand homme et à sa région les moyens d’un rayonnement national et international.

Contacts : 05 63 02 22 43

https://museefermat.com/