Trente ans après, une histoire à épisodes
Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 16 juillet 2023 920
Comme les meilleurs romans à épisode dont les journaux du XIXe siècle régalaient leurs lecteurs, l’histoire du dernier théorème de Fermat joue les prolongations. Voici en effet ce que nous communique Jean-Baptiste Iriart-Urruty, membre du Conseil d’Administration de l’association Fermat Science et professeur de mathématiques à l’université Paul Sabatier de Toulouse.
« Il y a 30 ans exactement, le 23 juin 1993, Andrew Wiles finissait une série de trois communications dans un colloque qui se tenait à l'université de Cambridge ; le dernier exposé se terminait par l'annonce de la résolution (par lui) de la grande question de Fermat (FLT = Fermat Last Theorem). Aussitôt, les réseaux sociaux (déjà) s'emballent, la presse s'empare du sujet... Le soir même, le journal télévisé de TF1 relaie l'annonce de Wiles… Je fais une affichette papier à ce sujet et l'appose au bâtiment 1R2 à l’université Paul Sabatier.Quatre semaines plus tard, La Dépêche du Midi (DdM) me contacte et me demande de rédiger, d'urgence, un papier sur le sujet pour la parution du dimanche suivant... J'écris quelques pages, à marche forcée, et l'article paraît avec une annonce de première de couverture le dimanche 1er août 1993… »
L’effervescence médiatique créée par l'annonce de la démonstration d’Andrew Wiles est en effet sans précédent. Les journaux et les magazines les plus prestigieux de France et du monde, dans leurs éditions spéciales, rendent compte de l’extraordinaire nouvelle : la fameuse conjecture que Pierre de Fermat a évoquée dans les marges de son ouvrage de Diophante est enfin démontrée après plus de 350 ans de tentatives infructueuses. L’émotion est à son comble. Andrew Wiles et son illustre prédécesseur se disputent la vedette à la une des publications les plus savantes comme les plus populaires.
« Ensuite », continue Jean Baptiste Hiriart Urruty « vous savez ce qu'il en est advenu ... : une erreur dans l'approche de Wiles, la correction avec son collègue Richard Taylor… » et enfin, après un an de tâtonnements confinant au désespoir, la démonstration enfin validée fait à nouveau la une des journaux réveillant l’émotion populaire. Puis « le Prix Fermat de Recherches Mathématique est attribué à Wiles en 1995, etc. »
Conjecture ou théorème ?
Une conjecture n’est autre qu’un énoncé considéré comme juste par un mathématicien, Pierre de Fermat en l’occurrence, mais qui n’a pas été démontré. Très tôt après la mort du grand homme, sa conjecture a fait l’objet des recherches des plus grands mathématiciens de toutes les nationalités ainsi que bon nombre d’amateurs qui s’y sont affrontés sans obtenir d’autres résultats que des démonstrations partielles de sorte que ce problème était, depuis toujours, considéré comme indémontrable.
La démonstration d’Andrew Wiles a valu aux deux savants de quitter la sphère des mathématiques pour intégrer celle des phénomènes populaires. Est-ce à dire pour autant que le grand public, passionné par les vicissitudes d’Andrew Wiles a acquis suffisamment de connaissances mathématiques pour comprendre la démonstration de cette conjecture qui se présentait pourtant sous une forme apparemment limpide ? « Il n’existe pas de nombres entiers strictement positifs x, y, z tels que xn+yn=zn dès lors que n est un entier strictement supérieur à 2. »
On peut en douter car s’il faut en croire ce qu’affirme John Lynch, producteur en 1996 d’un documentaire sur Andrew Wiles dont le scénariste n’est autre que Simon Singh auteur du best seller Le dernier théorème de Fermat, cette démonstration fait appel à des notions très savantes dont certaines que Pierre de Fermat Lui-même ne pouvait pas connaître.
Durant les 7 années qu’a durées sa recherche, affirme ce même John Lynch après s’être longuement entretenu avec Andrew Wiles, celui-ci a fourni un travail herculéen conjuguant les plus récentes techniques de la théorie des nombres pour les mettre au service de sa preuve. Les mathématiques qu’il a utilisées, sont les plus compliquées du monde. D’ailleurs plusieurs des techniques qu’il a utilisées n’existaient pas encore quand il a commencé à s’attaquer au problème. Sans compter que la nouveauté de son approche consiste en ce qu’il a relié des domaines des maths qui jusqu’alors avaient paru sans rapport [1]
Un peu d’histoire
Même si les mathématiciens les plus aguerris sont seuls à même de comprendre la démonstrations d’Andrew Wiles, il reste que l’effervescence produite par cet évènement hors du commun a suscité dans le public un extraordinaire engouement pour les maths, matière adorée ou honnie. Elle a permis de créer autour du personnage de Pierre de Fermat, le grand ancêtre désormais remis en lumière grâce à ce remue-ménage, une belle dynamique. Des expositions, des évènements ont été réalisés. Des équipes de télévisions japonaise, coréennes, anglaise, des journalistes espagnols sont venus faire des reportages. Partout dans le monde, des revues prestigieuses ont consacré des numéros spéciaux à l’évènement.
Comme on peut l’imaginer, dans la ville natale du grand homme, l’évènement n’est pas passé inaperçu. Une équipe s’est mise en place autour du syndicat d’initiative de la ville pour réfléchir à la meilleure manière de rendre justice au savant juriste natif de la Lomagne. Les relations avec plusieurs universitaires de mathématique ont permis d’admettre qu’il ne s’agissait pas d’expliquer au grand public les arcanes d’une démonstration que les meilleurs mathématiciens eux-mêmes peinaient à comprendre mais bien plutôt de révéler à tous la stature de géant de ces deux personnalités hors du commun mises en lumière par l’actualité et surtout de faire partager au plus grand nombre la passion qui a habité durant toute sa vie le savant lomagnol et qui s’est exprimée de si belle manière dans les rebondissements contemporains inspirés par son oeuvre.
La naissance d’une légende
La personnalité d’Andrew Wiles, grand jeune homme timide et secret se prêtait bien à la création d’une légende autour de ces deux personnalités d’exception. A quelques centaines d’années de distance, le mathématicien anglais partageait avec le magistrat gascon le goût d’un savoir encyclopédique, la passion des énigmes et l’émerveillement devant la beauté des mathématiques, cette matière pourtant réputée difficile et peu exaltante. Un sentiment qu’un autre mathématicien du XXè siècle, G.H. Hardy exprime d’une manière limpide : « Les schémas du mathématicien, comme ceux du peintre et du poète, doivent être beaux ; les idées, comme les couleurs et les mots, doivent s’agencer de manière harmonieuse… Il n’y a pas de place durable dans le monde pour des mathématiques laides »[2].
Dès lors, dans la maison natale de Pierre de Fermat dont la municipalité d’Henri Daudignon s’était porté acquéreuse au début des années 1980, s’est mise en place autour de ces deux personnages hors du commun une ligne de conduite. Il s’agissait, avec l’aide des meilleurs spécialistes en la matière, de surfer sur la vague de l’intérêt suscité par cette énigme qui est cependant loin de représenter toute l’œuvre de ces deux mathématiciens de génie, pour créer les conditions susceptibles d’éveiller l’intérêt pour les mathématiques et pour mobiliser le jeune public grâce à des outils pédagogiques innovants et des festivités liant les maths à la vie quotidienne, aux arts et au patrimoine.
Enfin dans les débuts des années 2010, l’achat par la municipalité de Jean-Luc Deprince de l’hôtel Dubosc mitoyen de l’hôtel Fermat a permis de réserver deux étages de la maison natale pour un projet de musée des mathématiques où Pierre de Fermat, à partir de juillet 2024, pourra accueillir les visiteurs. Il les invitera à découvrir son siècle, sa vie de magistrats, ses relations avec le mode savant de son époque, les mathématiques qu’il a pratiquées et celles qui sont nées de ses recherches.
Une pièce sera réservée à l’aventure du Théorème accessible à tous grâce à la BD, un des media dont Pierre de Fermat ne soupçonnait pas qu’il pût un jour exister.
Et, puisque les mathématiques ne se sont pas arrêtées au décès du grand homme, des expositions thématiques rendront compte de leur utilisation dans la société actuelle, à commencer par la première traitant de l'Intelligence artificielle : Entrez dans le monde l’IA qui fera l’ouverture du Musée Fermat.
En conclusion
Pour finir, il est temps de laisser la parole à Jean-Baptiste Hiriart- Urruty pour une conclusion un peu malicieuse en forme d’invite : Trente ans après, La Depêche du Midi serait bien inspirée de suivre les travaux dans la maison natale de Fermat à Beaumont-de-Lomagne, et d'en faire état dans son édition du dimanche (commune, semble-t-il, à beaucoup d'éditions). Dans 30 ans, nous ne serons plus là, pas tous du moins, mais l'esprit de Fermat, lui, sera toujours là.
[1] John Lynch, préface de l’ouvrage de Simon Singh : Le dernier théorème de Fermat
[2] G.H. Hardy. L’apologie d’un mathématicien