Le numérique au service de la mémoire

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 21 février 2021   1.3k

On pourrait imaginer que les communes rurales, contrairement au milieu urbain, jouissent comme c’était le cas autrefois, d’une certaine permanence de nature à favoriser la conservation de la mémoire et sa transmission. Or force est de constater qu’il n’en est rien.

Dans la ville de Beaumont, autrefois, chaque semaine, lorsque venait le jour du marché, toute la campagne environnante dévalait vers la place centrale pour échanger les produits de la fermes et les dernières nouvelles. Les photographes qui souvent, dans les villages, faisaient office de correspondants de presse, mitraillaient à qui mieux mieux et filmaient les évènements locaux avant d’exposer, dans leurs vitrines, les portraits et les scènes de la vie locale.

Après chaque match, les résultats obtenus par l’équipe de rugby, domaine d’excellence du sport beaumontois qui, longtemps, a fourni des champions d’envergure nationale et au-delà, alimentaient les conversations. Qu’il pleuve ou qu’il vente, les anciens, sur les bancs face à la mairie contaient avec verve les petites histoires des uns et des autres. Quant aux érudits locaux, ils interrogeaient les chroniques et publiaient, souvent à leurs frais, l’histoire de leur commune.

Aujourd’hui une fois les photos bien rangées dans les albums familiaux ou pire encore, classées dans les dossiers des ordinateurs personnels, chacun se presse vers son travail, parfois à l’extérieur du territoire, et réserve les jours de congés aux activités de loisir dans les associations ou les clubs de sport. Certes, en dehors des périodes de confinement, les anciens continuent, vaille que vaille, sur les bancs de la place, à répandre de leur verbe plein de malice, des anecdotes concernant eux-mêmes et les autres, mais la sociabilité s’exprime désormais d’une manière différente qui fait peu de place à la mémoire.  

C’est de cette constatation qu’est né le projet MEMOIRES (INTER)ACTIVES mené, sous l’égide de la Direction des Affaires culturelles(DRAC) par l’association audiovisuelle La Trame avec la commune de Beaumont de Lomagne et l’aide de trois associations beaumontoises, l’Association Socio Culturelle, Fermat Science et Ciné Lomagne. La résidence de médiation artistique en milieu rural, pendant les six premiers mois de 2021, se déclinera selon trois axes forts : territoire, ruralité et médiation artistique et permettra de retrouver l’authenticité du territoire que le monde moderne a éparpillé.

Une co-construction

La matière sera fournie par les habitants de Beaumont et du canton. Bourg centre de la Lomagne Tarn-et-garonnaise Beaumont est en effet riche d’un passé fertile en évènements et manifestations d’envergure. La ville se situe au cœur du pays de Lomagne qui  possède un patrimoine matériel et immatériel varié : des structures urbanistiques originales, plusieurs châteaux et églises, une mémoire historique sauvegardée par des chroniques. Le commerce est dynamique, l’agriculture vivante. La vie associative, multiforme, participe à l’animation des communes.

Pour réveiller la mémoire de ce pays lomagnol riche d'Histoire et d'histoires, Roberto Della Torre, Fanny Tuchowski, et Alain Chaix, documentaristes et vidéastes de l’association La Trame, organiseront tout d’abord une collecte de la parole par le moyen de rencontres avec le public dont la première, déjà programmée, aura lieu le 12 mars.

La mémoire des lieux sera restituée par les plus anciens habitants de la ville et des villages environnants qui porteront témoignage sous forme d’anecdotes, de racontages et d’histoires de malice en occitan et en français. Pour l’image, les familles Krimm et Desfour descendant des deux photographes historiques de Beaumont, ont communiqué un trésor de films et de photos anciens qui, numérisés, et communiqués à la population lomagnole, feront émerger les souvenirs enfouis et susciteront remarques et réactions.

Le numérique au service de la mémoire

A partir de la collecte initiale, qui a pour but de délier les langues et de faire émerger la mémoire, il s’agira pour l’équipe d’artistes en résidence, de peaufiner les outils les plus innovants pour aider la population à s’approprier ce riche passé et participer à recréer une mémoire collective.

Des ateliers de pratique artistique permettront, à partir des récits et du matériel fourni par les uns et les autres, de réaliser des vidéos en réalité augmentée mêlant parole, dessin, saynètes filmées propres à créer les conditions d’une visite active de la Lomagne via les smartphones ou autres moyens de communication d’aujourd’hui. Portraits vidéos et sonores, échanges épistolaires numériques, balades interactives prendront progressivement vie au cours de ces six mois.

Des anciens aux plus jeunes, chacun pourra bénéficier de ces échanges et prendre part à la création d’une oeuvre collective. Il s’agit ici de « restituer le réel avec les outils de la fiction » selon l’expression de la journaliste Florence Noiville définissant le journalisme narratif.[1]

Mais ces ateliers permettront aussi de favoriser l’esprit critique, d’apprendre aux participants à décrypter des images et à utiliser les moyens informatiques pour, à partir de ces matériaux créer leur propre récit, apprendre à raconter eux-mêmes la vie des gens et des lieux qui leur tiennent à cœur.

Ainsi, par ce lien entre les arts et les sciences, se tisseront de nouvelles relations entre les générations. Cette création collective interactive qui donnera à voir aux habitants d'aujourd'hui la vie de ceux qui les ont précédés, contribuera à tresser les liens entre le passé et le présent, à mettre en valeur le patrimoine architectural et agricole, et en cultivant la mémoire, à donner des chances à la Lomagne pour construire l’avenir.


Jade et la conteuse Marie Moles lors de la Curieuse visite curieuse de Beaumont.

 Crédit photos : Zweiss photographie, Mairie de Beaumont, La Trame, La Trame, Fermat Science

 

[1] Florence Noiville : Secrets d’artistes reporters. Le Monde de Livres. Vendredi 19 février 2021