Ombres et lumières de la conscience
Publié par Université de Montpellier UM, le 19 juillet 2016 2.6k
Que se passe-t-il dans notre cerveau ? Difficile encore aujourd’hui de le dire. Parmi les mystères qui demeurent, il y a un Graal : l’énigme de la conscience…
Il a longtemps été un mystère absolu. Muré dans son impénétrabilité, le cerveau était alors décrit de l’extérieur. Comment nous comportons-nous ? Comment parlons-nous ? Comment ces données nous éclairent-elles sur les mécanismes cérébraux ? Depuis quelques décennies, les avancées technologiques, l’imagerie médicale notamment, ont commencé à éclairer l’intérieur de la boîte noire. Mais le mystère est têtu…
Un organe comme les autres ?
« On comprend à peu près comment fonctionne un foie, un rein ; même s’il reste beaucoup à apprendre, les concepts sont là. Les fonctionnements des systèmes moteur, vasculaire, digestif… sont à peu près maîtrisés ». « A peu près » dit Joël Bockaert, neurobiologiste, fondateur de l'Institut de Génomique Fonctionnelle. La compréhension totale reste bien souvent un rivage qui ne cesse de s’éloigner au fur et à mesure que l’on s’en approche.
Comprendre le cerveau ? Ne serait-ce pas, entre autres, comprendre comment on fabrique de l’immatériel avec du matériel : de la conscience et de la pensée avec des cellules nerveuses ? Car le cerveau est bel et bien un organe. Et comme tel, soumis aux déterminations métaboliques et génétiques : « l’autisme, la schizophrénie semblent bien avoir une forte composante génétique » poursuit le neurobiologiste.
Mais un organe à la complexité effarante. Pour preuve, quand il s’agit de réparer cette mécanique subtile, nous nous avérons de très mauvais horlogers… « Aujourd’hui encore, face à pratiquement toutes les maladies cérébrales, les praticiens que nous sommes restent très démunis. Nous pouvons soulager les patients, pas les guérir » affirme Gina Devau.
Eternelle impermanence
Cette neurobiologiste spécialiste de la maladie d’Alzheimer a pourtant une excellente nouvelle : « votre cerveau vieillit bien ! » dit-elle. Il offre en effet une remarquable plasticité, et d’incroyables capacités de résilience. En cas de lésion, il sait se réorganiser tout seul afin de récupérer tout ou partie des facultés perdues.
Et pour qu’il se développe, il suffit de lui donner de l’activité. Car nos structures cérébrales s’usent surtout si on ne s’en sert pas. « Le cerveau change et se retransforme en permanence, tout au long de la vie. Il est capable de créer de nouvelles connexions s’il est sollicité » dit Gina Devau. S’il est quelque chose qui caractérise notre cerveau, c’est donc son impermanence. Chaque seconde le transforme. A tel point, à en croire les scientifiques, que vous ne serez pas le même après avoir lu cet article…
Mais alors, où se fonde mon identité ? Loin de l’inconscient décrit intuitivement par Freud, les avancées de la science permettent aujourd’hui d’imaginer un inconscient plus omniprésent peut-être que ne l’imaginait le père de la psychanalyse. « C’est une découverte importante de ces dernières décennies : le cerveau fonctionne massivement de façon inconsciente » pose Joël Bockaert…
Qui est je ?
Et les scientifiques de décrire un cerveau qui n’a pas besoin de nous pour accomplir l’immense majorité des tâches dont il a la charge. Gérer les fonctions physiologiques, la respiration, le contrôle du cœur par exemple ; jongler entre coordination motrice et sensorielle, comme lorsque l’on fait du vélo ou de la guitare : l’accomplissement de ces tâches complexes, mon cerveau l’assume seul. C’est-à-dire sans moi.
« C’est un organe qui fonctionne de manière ultrarapide : de l’ordre de la milliseconde. Un travail qui échappe donc à la conscience, pour qui le tempo de base est plutôt la seconde » dit Gina Devau. Il en va de même pour la parole : « quand nous parlons, c’est à une telle vitesse que notre discours n’a manifestement pas le temps de passer par le filtre de la conscience », confirme Joël Bockaert. Mais alors, qui est ce je qui parle ? « Je est un autre » disait Rimbaud : cet étonnement devant le mystère de la conscience, les poètes, ces inventeurs d’inconnu, l’ont exprimé les premiers.
La conscience ne serait donc que la partie émergée d’un iceberg dans les profondeurs duquel la majorité des décisions se prennent à notre insu. Que se passe-t-il quand elle émerge ? Ce feu d’artifices, on peut le décrire, pas l’expliquer. « Tout s’embrase et se met en synchronie dans le cortex préfrontal. C’est le siège principal de la conscience : c’est lui qui se met à activer et gérer la plupart des fonctions du cerveau » décrit Joël Bockaert. Cet état, qui permet de polariser son attention sur un événement unique et ponctuel, ne dure pas. Le cerveau va ensuite reprendre la barre, en despote discret…
Ces traces qui nous forment
S’il est un point sur lequel je me fonde, c’est sans doute ma mémoire, ce pilier majeur de la construction de l’identité. « Nos souvenirs ouvrent une fenêtre sur le passé, mais aussi vers le futur. Ce sont eux qui nous permettent d’aller de l’avant » dit Gina Devau. C’est notre connaissance des lieux, des situations passées, des relations existantes qui nous permet de nous adapter à l’avance à ce que nous projetons dans l’avenir. « Il n’est pas d’imagination sans mémoire : ce sont les mêmes régions du cerveau qui sont impliquées » éclaire Joël Bockaert.
Sur le fonctionnement de la mémoire, nous possédons quelques lumières. « Lorsqu’un souvenir se forme, les contacts entre certains neurones se renforcent pour fabriquer un pattern, une forme particulière ». Des réseaux se créent, ils se renforceront ou disparaîtront s’ils sont, ou non, sollicités. Les souvenirs s’impriment donc littéralement en nous. Ils sont des traces physiques : voilà qui commence à réduire le mystère central du : « comment peut-on fabriquer de l’immatériel avec du matériel ? »…..et réciproquement. Comme l’écrit le neurologue américain Antonio Damasio, Spinoza avait peut-être bien raison : pour le philosophe, « le corps et l’esprit sont une même chose, envisagée sous deux angles différents ».
Ces traces physiques qui peuplent notre mémoire sont elles-mêmes soumises à la loi de l’impermanence. Car nos souvenirs se modifient en permanence. Les patrons des réseaux qui les composent vont évoluer, se reconstruire. On a aujourd’hui pris la mesure de la fragilité de la mémoire. On sait qu’elle nous trompe : le cerveau reconstruit les souvenirs, les recodant différemment chaque fois qu’il les amène à la conscience, les soumettant à des enjeux multiples qui les modifient.
Un cerveau, ça trompe énormément
La mémoire est ainsi soumise aux émotions. Neurobiologiste, Isabelle Chaudieu travaille sur les états de stress post-traumatique. En temps normal, notre mémoire se fabrique pendant notre sommeil, quand l’hippocampe redistribue les souvenirs dans diverses zones du cerveau où ils seront stockés à long terme. En cas de stress extrême, l’hippocampe n’arrive plus à faire son travail. « Le cortex préfrontal, censé réguler les émotions, est en surchauffe. Il ne peut plus jouer son rôle ».
C’est alors un système de réponse rapide qui prend le relais : on l’appelle le système sous-thalamique. Un état dans lequel les émotions prennent le dessus sur le cerveau rationnel… « Mettre les émotions sous contrôle est l’une des fonctions majeures des systèmes supérieurs du cerveau. Quasiment toutes les maladies psychiatriques sont liées à un déséquilibre de fond du cortex préfrontal » explique Isabelle Chaudieu.
Mais même lorsqu’il fonctionne parfaitement, notre encéphale nous trompe couramment. Cet enchanteur est passé maître dans l’art des fantasmagories. Les illusions d’optique, par exemple, en sont la preuve. « Le cerveau efface, crée, reconstitue, recompose, invente des formes. Il peut même forger des souvenirs fictifs » résume Joël Bockaert.
Un enchanteur qu’il sera long et ardu de capturer sous l’œil de la science. Pour le cerner un tant soit peu, la route est longue et il faudra l’apport conjoint de nombreuses disciplines, explique Gina Devau. « Etudes cliniques, comportementales, imagerie médicale, simulation informatique, génétique… Chaque discipline amène une petite ouverture. Le tableau est encore trop vaste pour qu’on puisse l’embrasser d’un seul regard ».
Photo : Etude du développement des circuits neuronaux : noyaux moteurs de souris marqués par la technique du Brainbow qui permet de visualiser les circuits neuronaux en créant des marquages multicolores. (c) Inserm / Matho, Katie
Retrouvez cet article dans LUM, le magazine science et société de l'Université de Montpellier.
Vous souhaitez recevoir chaque numéro du magazine Lum en version papier ? Envoyez un simple mail précisant vos coordonnées à aline.periault@umontpellier.fr