Le cerveau repensé
Publié par Université de Montpellier UM, le 19 juillet 2016 2.3k
Et si le cerveau n’était pas celui qu’on croyait ? Véritable cartographe du cerveau, le neurochirurgien montpelliérain Hugues Duffau a découvert l’incroyable plasticité de notre matière grise. Et changé la vie de milliers de patients.
Nous sommes en 1861. Le médecin français Paul Broca rencontre un patient un peu particulier : s’il comprend tout ce qu’on lui dit, il est devenu incapable de prononcer un mot intelligible. Une seule syllabe peuple ses conversations, « tan », qui lui vaut d’être ainsi nommé. Tan est aphasique, et il va bouleverser durablement l’histoire des neurosciences.
A la mort de Tan, Paul Broca observe son cerveau sous toutes les coutures et s’aperçoit qu’une petite zone est abîmée. Il en déduit que cette région particulière contrôle la parole. « A partir d'observations exactes, il a tiré des conclusions erronées », explique Hugues Duffau. Le neurochirurgien montpelliérain est catégorique : la fameuse aire de Broca n’existe pas. Il en veut pour preuve les nombreux patients chez qui il a pratiqué l’ablation totale de cette zone du cerveau et qui pourtant parlent sans aucune difficulté.
L’erreur de Broca
Au-delà de l’aire de Broca, c’est toute une conception traditionnelle du cerveau qui est sujette à caution. « Pendant 150 ans la médecine a considéré que le cerveau était organisé en différentes zones contrôlant autant de fonctions spécifiques. Il est aujourd’hui avéré que cette théorie ʺlocalisationnisteʺ est fausse, et pourtant on continue de l’enseigner », déplore le neurochirurgien, qui mène une véritable croisade depuis maintenant 15 ans pour tordre le cou à ce dogme bien ancré.
Alors comment fonctionne vraiment notre cerveau ? « Il est organisé en réseaux interactifs dynamiques capables de se réadapter en permanence. Des réseaux qui s’avèrent différents d’une personne à l’autre », répond Hugues Duffau. Cette approche « connexionniste » explique que certains patients puissent mener une vie parfaitement normale en dépit d’une tumeur de la taille d’une orange touchant des zones jusqu’ici considérées comme cruciales pour les fonctions cérébrales.
« Manifestement le cerveau peut compenser ces lésions : son incroyable plasticité lui permet de se réorganiser pour continuer à fonctionner normalement. Prenez le réseau de métro parisien, si vous fermez une station vous trouverez toujours un autre itinéraire pour rentrer chez vous », image le médecin. A condition toutefois de ne pas toucher aux connexions les plus importantes. « Si vous fermez Chatelet et Montparnasse, alors là vous risquez de paralyser le trafic », met en garde le lauréat de la médaille Herbert-Olivecrona, l’équivalent du prix Nobel de neurochirurgie.
Opérations éveillées
Cette approche connexionniste a révolutionné la prise en charge des patients atteints d’une tumeur au cerveau. « Tant que la tumeur n’a pas provoqué de handicap, on peut l’enlever en grande partie et soigner le patient sans avoir systématiquement recours à une chimiothérapie », explique Hugues Duffau. Mais si chaque cerveau est différent, comment savoir où se situe la station Chatelet dans le cerveau du patient ? Une seule solution : le garder éveillé tout au long de l’opération. Une procédure pour le moins inhabituelle, mais qui « permet de vérifier en temps réel l’impact des actes chirurgicaux », affirme Hugues Duffau.
Au bloc opératoire, des « lésions virtuelles transitoires » sont créées dans le cerveau grâce à de petites impulsions électriques émises sur des zones très précises. Pendant ce temps un neuropsychologue et un orthophoniste demandent au patient de répondre à des consignes afin de tester sa capacité à parler, à bouger ou encore à reconnaître une émotion. S’il donne une mauvaise réponse, alors le médecin sait à quel endroit ne pas intervenir, sous peine de déconnecter un réseau important. « Par exemple si le patient dit ʺun voitureʺ au lieu de ʺune voitureʺ, je marque la zone d’une petite étiquette pour me rappeler qu’il ne faut rien enlever à cet endroit crucial »… Et ça fait mal ? Même pas : « le cerveau n’a pas de récepteurs de la douleur », rassure le neurochirurgien.
Préserver la qualité de vie
En 20 ans, Hugues Duffau a ainsi opéré plus de 650 patients, multipliant par deux ou par trois leur espérance de vie. Il reçoit du monde entier des dizaines d’hommes et de femme souffrant d’une tumeur cérébrale et que ses confrères ont jugés inopérables, par peur de séquelles trop importantes. « En opérant les patients éveillés nous pouvons enlever un maximum de tumeurs tout en limitant considérablement le risque de séquelles qui est passé de 20 % à moins de 0,5 %. Nous préservons en priorité la qualité de vie des patients, c’est capital ». Les premiers patients opérés de cette façon par Hugues Duffau l’ont été il y a 20 ans. Ils sont toujours là pour en témoigner.
Retrouvez cet article dans LUM, le magazine science et société de l'Université de Montpellier.
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